L’invité du soir, de Fiona McFarlane
Pour celles et ceux qui aiment les vieilles dames.
La vieille dame sur la dune
qui avait un tigre dans son salon.
Il ne fallait surtout pas refuser l'invitation de la jeune australienne Fiona McFarlane pour son premier roman : L'invité d'un soir.
Cela commence comme une douce histoire de vieille dame, toutes deux (l'histoire et la vieille dame) pleines de charme, de dignité.
Ses enfants sont partis par delà les mers, son mari est parti au-delà, et Ruth coule une fin de vie paisible, seule dans sa maison sur les dunes, au bord d'une plage d'Australie.
« [...] Elle n’était pas vieille… enfin, pas tant que ça, elle n’avait que soixante-quinze ans.
[...] Elle connaissait les limites de son indépendance ; elle savait aussi qu’elle n’était ni en détresse ni particulièrement courageuse, juste entre les deux ; mais elle était encore capable de se débrouiller toute seule.
[...] Depuis quelque temps, elle espérait que sa fin serait aussi extraordinaire que son commencement. Elle savait aussi que c’était peu probable. Elle était veuve et vivait seule. »
Et puis un soir, ou plutôt une nuit (Night guest en VO), Ruth entend le feulement d'un tigre dans son salon.
Le lendemain, une grosse dame, Frida, semble débarquer de la plage, tirant sa valise sur le sable et se présente comme aide-ménagère, auxiliaire de vie dit-on désormais.
« [...] Ruth s’est tournée vers Frida. « Veuillez m’excuser, mais qu’êtes-vous au juste ? Une infirmière ?
– Une infirmière ? a répété Jeffrey.
– Une aide-ménagère du gouvernement », a indiqué Frida. Ruth préférait cela. »
Une relation à la fois douce et étrange va se tisser entre la robuste Frida et la distinguée vieille dame.
« [...] – Vous donniez des cours de langue ?
– Pas tout à fait. Il s’agit de l’art de bien s’exprimer. De manière claire et précise, en articulant. La prononciation, la production vocale…
– Vous voulez dire que vous appreniez aux gens à parler comme les riches ? »
Difficile de dire si Frida était dégoûtée, incrédule, ou les deux à la fois. « À parler correctement. Ce n’est pas la même chose.
– Et les gens vous payaient pour ça ?
– En général je donnais des leçons à des enfants dont les parents me payaient. » Frida a secoué la tête comme si elle venait d’entendre une histoire ridicule mais divertissante.
« C’est pour ça qu’on dirait une Anglaise quand vous parlez ?
– Je n’ai pas une prononciation anglaise », a contredit Ruth, qui avait l’habitude d’entendre pareille accusation. Naguère ç’eût été un compliment. »
Bien vite, Frida devient indispensable et sa présence se fait tantôt rassurante, tantôt envahissante. Qui est-elle vraiment, d'où vient-elle réellement, que veut-elle finalement ?
Et Ruth, est-ce qu'elle perd un peu la tête, à son âge ce serait bien normal, est-ce que ce sont plutôt les cachets ?
Tout cela se met patiemment en place, on l'a dit la première moitié du bouquin est toute de douceur et de charme. Fiona McFarlane sème sur le sable des indices qui crèvent les yeux, les nôtres mais pas ceux de Ruth, ça se voit gros comme une maison sur la dune, mais on ne veut rien voir.
Non, on voudrait comme Ruth couler des journées paisibles en compagnie de Frida en regardant les surfers sur la plage ou les baleines en mer. Non, on ne veut rien voir et on voudrait presque ne pas avancer dans ce fichu bouquin, ou relire sans cesse le début et seulement rêver du tigre de temps à autre.
« [...] « Que diriez-vous si je vous racontais qu’un tigre s’est promené ici, la nuit dernière ?
– Ici ? Vous voulez dire dehors ou à l’intérieur ?
– À l’intérieur.
– Quel genre de tigre ? Un adulte ? Un jeune ?
– Oui.
– Adulte ou jeune ? a répété Frida qui demeurait sensée.
– Un jeune adulte.
– Un tigre de Tasmanie, ou du genre ordinaire ?
– Ordinaire.
– Et qu’est-ce qui vous fait croire qu’on a un tigre dans le secteur ?
– Je pense l’avoir entendu.
– Mais vous l’avez pas vu ? »
Mais la jeune auteure ne nous laissera pas nous en tirer à bon compte.
Dès le début on a senti que ça dérapait et que cette Frida n'était pas arrivée tout simplement par la plage, mais on ne voulait pas voir l'évidence, on ne voulait pas voir que tout cela glissait dangereusement dans le sable des dunes. Parti sur une douce histoire de vieille dame qui serait une cousine australienne d'Emily, on sent finalement le vent d'hiver de Laura Kasischke souffler sur la plage.
Un drôle de roman, fort bien écrit, empreint de douceur mais suintant l'angoisse, un cocktail plutôt original.
Comme ce n'est que le premier roman de la jeune australienne, on se dit que voilà une auteure à suivre, même si elle a la tête en bas.
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