L'autre rive de la mer d'António Lobo Antunes (A Outra Margem do Mar)
L’Angola, colonisé par le Portugal en 1575, a été gouverné alternativement en tant que colonie, province ultramarine et État de l'Empire colonial portugais. Et puis en 1961, éclate une guerre d’indépendance (qui sera obtenue en 1975).
Ce livre fait référence à une insurrection des travailleurs noirs, qui n’en pouvaient plus de leurs conditions de travail pour la production de coton. Au lieu d’être de se désespérer en continu, ils ont décidé d’agir et de se révolter. Le gouvernement portugais n’hésitera pas et enverra son armée pour réprimer tout cela.
Dans ce roman, trois narrateurs s’expriment tour à tout.
La fille d’un planteur. Elle n’est plus sur place. Elle vit ailleurs, peu importe où. Elle se rappelle son quotidien avec sa famille sur la propriété familiale.
Un fonctionnaire qui a fui la région suite aux événements, il a épousé une femme albinos.
Un colonel portugais, aujourd’hui à la retraite. Il a participé aux opérations militaires dont le but était d’éteindre la mutinerie.
On suit leurs pensées intérieures, leurs idées fixes, leurs souvenirs et les émotions qui y sont liées. Tout remonte à la surface, brusquement ou plus doucement, suivant le rythme de chacun. La mer et ses autres rives sont omni présentes proposant différents points de vue selon le bord sur lequel on se trouve…. C’est surprenant, déroutant dans un premier temps puis on laisse le style s’installer et on « écoute » le flot monter… On n’a pas forcément de repères spatio-temporels, c’est l’instinct de l’écrit qui domine. Passé et présent peuvent se bousculer avec intervention d’un dialogue, le plus souvent à sens unique, comme si les réponses étaient dans la suite du texte.
Le titre et la couverture l’évoquent déjà. L’écriture, ce sont des vagues. Elle est parfois calme, puis tumultueuse, ou corrosive. Elle bouge, part, revient, écorche, caresse, sans début, sans fin, seulement quelques pauses, ou des soupirs, des respirations saccadées ou silencieuses et douces. Une vague par chapitre (d’une vingtaine de pages), une phrase longue ponctuée par des sauts à la ligne et des paroles précédées de tirets représentant des mots jetés, prononcés par un tiers le plus souvent, semblables à des cailloux dans l’eau qui alors gicle plus fort et surprend le lecteur. On est éclaboussé, secoué. On pénètre dans un univers où différents thèmes sont évoqués. Le racisme avec toutes ses dérives, du mot échappé intentionnellement, l’air de rien à la violence plus importante et le plus souvent irraisonnée. Le traumatisme de vivre ou de faire vivre, sans vraiment l’avoir choisi, une situation de tension, de soulèvement. Les relations familiales difficiles lorsque chacun souffre, cherche sa place, essaie d’avancer et fait preuve de maladresse.
Entre prose et poésie, ce recueil peut sembler inclassable, mais il est sans doute à ranger dans ces lectures marquantes, riches de sens où la langue est exploitée dans toute sa beauté, offrant des messages qui font mouche, emportant le lecteur vers des rives insoupçonnées, là où la mer n’est, chaque fois, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre ….
Traduit du portugais par Dominique Nédellec
Éditions : Christian Bourgois (11 Avril 2024)
ISBN : 978-2267049633
450 pages
Quatrième de couverture
Dans la Baixa do Cassanje, une région du nord de l’Angola, une révolte éclate en 1961 parmi les travailleurs noirs. Cette insurrection, qui constitue l’une des premières étapes de la lutte pour l’indépendance de l’Angola, est violemment réprimée lorsque le pouvoir colonial portugais envoie son armée et son aviation pour y mettre fin.
Trois personnages prennent tour à tour la parole, rattrapés par leurs souvenirs et leurs obsessions : la fille d’un planteur, un ancien chef de district, un colonel de l’armée portugaise à la retraite.