La jeune fille à la perle, de Tracy Chevalier
Pour celles et ceux qui aiment les peintres et leurs modèles.
La jeune fille et le peintre.
On avait eu un coup de cœur pour Les prodigieuses créatures de Tracy Chevalier (c'était en 2010).
Plus récemment, on avait bien aimé Les heures silencieuses de Gaëlle Josse qui contemplait un portrait flamand peint par De Witt à Delft au XVII.
Alors bien sûr on a été accroché par cette histoire qui met en scène, cette fois, le tableau de Johannes Vermeer, toujours à Delft, toujours au XVII : La jeune fille à la perle.
Bingo !
Ce bouquin réunit effectivement les plaisirs des deux précédents : la saveur d'une très belle écriture, le plaisir d'une très belle histoire de femme en avance sur son Histoire et ce jeu subtil entre peinture célèbre et réalité ordinaire.
Bien sûr cette histoire de servante devenue modèle d'un tableau désormais mondialement réputé (la Joconde du nord) est tout à fait imaginaire (d'autres hypothèses pencheraient plutôt pour l'une des filles du peintre, quant aux relations que l'auteure leur prête ...).
Mais qu'importe, avec une facilité déconcertante, Tracy Chevalier nous emporte corps et âme dans ce XVII° siècle hollandais, entre papistes et calvinistes, entre servantes et bourgeois, entre conventions sociales et religieuses. Pour autant, elle ne néglige pas la 'vraie' peinture : les couleurs et pigments utilisés par Vermeer, le fameux turban (le tableau s'est longtemps intitulé : La jeune fille au turban), l'éclairage de la perle tout aussi fameuse,voici autant de prétextes à développer de passionnants chapitres.
C'est très simple : la dernière page lue, on n'a qu'une seule envie, celle de courir à La Haye (re-)découvrir la peinture flamande de Vermeer ... qui jusqu'ici nous laissait plutôt indifférent, c'est le moins que l'on puisse dire. Il n'y a pas de plus beau compliment à faire à notre 'guide'.
Mais ce n'est pas tout !
On retrouve également tout l'esprit subtilement féminin (féministe ?) qui caractérise Tracy Chevalier et cette servante huguenote s'avère bien une autre créature prodigieuse : la jeune Griet imaginée se montre trop fine pour son époque, jusqu'à attirer l’œil et l'intérêt (et peut-être plus) d'un peintre aussi exigeant que Vermeer. La petite servante qui sait à peine lire, possède un œil magique qui lui permet de décrypter les tableaux du peintre mieux que le maître lui-même et de lui préparer ses couleurs.
« [...] Lorsque Catharina ouvrit la porte de l'atelier, je lui demandai si je devrais faire les vitres. « Et pourquoi pas ? me répondit-elle sèchement. Veuillez ne pas m'importuner avec des questions sans importance.
– C'est à cause de la lumière, Madame, expliquai-je. Si je les lavais, cela pourrait changer tout le tableau. Vous voyez ? » Non, elle ne voyait pas.
[...] Vous vous apercevrez qu'il n'y a que peu de vrai blanc dans les nuages et pourtant on dit qu'ils sont blancs. Alors, comprenez-vous pourquoi je n'ai pas besoin de bleu pour le moment ?
– Oui, Monsieur. » Je ne comprenais pas réellement, mais je ne voulais pas l'admettre. J'avais l'impression de presque savoir.
[...] J'aimais broyer les ingrédients qu'il rapportait de chez l'apothicaire, des os, de la céruse, du massicot, admirant l'éclat et la pureté des couleurs que j'obtenais ainsi. J'appris que plus les matériaux étaient finement broyés, plus la couleur était intense. À partir de grains rugueux et ternes, la garance devenait une belle poudre rouge vif puis, mélangée à de l'huile de lin, elle se transformait en une peinture étincelante. Préparer ces couleurs tenait de la magie. »
Enfin, cerise sur le gâteau ou plutôt : perle sur le tableau, ce roman couve une douce mais puissante sensualité qui flirte avec l'érotisme comme le modèle flirte avec son peintre.
Ah ces cheveux échappés de la coiffe, ah ces oreilles qui n'avaient jamais été percées, ...
Superbe.
« [...] Les femmes qu'il peint deviennent prisonnières de son monde. Vous pourriez vous y perdre. »
Tout comme avec Ses prodigieuses créatures, Tracy Chevalier nous donne une histoire empreinte de douceur et d'intelligence avec de multiples niveaux de lecture, servie par une plume très riche (on s'y habitue après quelques pages, c'est peu commun de nos jours).
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