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Publié par collectif-litterature

une_etoile.jpgUne chronique d’Emmanuelle

 

Dans Avec tes mains *, un livre écrit en mémoire de son père, Ahmed Kalouaz dressait le portrait d'un homme fruste et taciturne avec lequel aucun dialogue n'avait pu s'instaurer faute d'amour et de mots, cherchant à comprendre sa vie et à s'acquitter, malgré tout, de sa dette envers lui.

 

Trois ans après, il publie Une étoile aux cheveux noirs , une fiction autobiographique consacrée cette fois à sa mère, une vieille femme dont l'amour lui apporta lumière et chaleur dans son enfance mais privée, elle aussi, de ces mots qui ouvrent l'esprit et tissent un véritable échange.

 

Et ce sont ces mots acquis en France, son pays, grâce à l'exil douloureux de parents pauvres et illettrés qui permettent maintenant à cet écrivain d'imaginer ce qui n'a pu être dit et de saisir ce qui affleure dans la simplicité des paroles et des gestes maternels qu'il se remémore.

 

 Les souvenirs recherchés et reconstitués pour retracer la vie de son père défunt ont fait émerger d'autres souvenirs et surgir d'autres questions : tout un long cheminement souterrain. Et c'est à la faveur d'une remarque étrange  mais significative de cette femme désormais solitaire désirant acquérir une coûteuse machine à coudre "Singer" à quatre-vingt-quatre ans que ce livre s'est imposé à l'auteur. Tout comme lui vint soudain à l'esprit cette phrase devenue l'incipit du roman alors qu'il traversait à mobylette une région minière lui rappelant les paysages de son enfance :

 

«Là-bas, au pays minier, nous avions l'âme charbonnière, même les mésanges portaient ce nom.»

 

 Le héros quitte sa maison de Brignogan dans le nord de la Bretagne pour rendre visite à sa mère qui, expulsée de la cité de Grenoble où elle passa quarante ans de sa vie, doit être relogée dans un nouvel appartement. D'une manière un peu folle, il décide d'entreprendre cette traversée de la France au rythme d'une mobylette pour tenter de «ralentir le temps», il lui faut en effet «suivre la marche lente des collines» pour se rapprocher de sa mère, au risque de la perdre, le temps étant compté à cet âge. Une mère aimée bien qu'étrangère par de nombreux côtés car elle n'est pas du même pays, ne partage pas la même langue et s'est tournée vers la religion.

 

Et ce voyage intérieur effectué à sa rencontre lui permet de poser enfin toutes ces questions que par pudeur il n'a jamais osé lui poser et qu'il ne lui posera sans doute jamais lorsqu'il la reverra.

 

 Ce double voyage dans «cette France qu'il chante à tue-tête» sur sa mobylette tout en s'abandonnant à ses rêveries permet à l'auteur d'établir un parallèle particulièrement réussi entre l'attachement de son héros à ce pays traversé et son amour pour cette mère nourricière.

 

Le récit à la première personne, entrecoupé de dialogues avec les personnes rencontrées, suit la progression géographique du héros narrateur qui adopte le "tu" pour s'adresser intérieurement à sa mère . Et  l'auteur laisse aussi la parole à cette dernière en regroupant et insérant, en italique, des confidences éparses faites à son fils, leur donnant un éclairage nouveau pas forcément perçu à l'époque. Comme son héros, il « brode   ...   rapièce des morceaux, des phrases prononcées un jour qui n'avaient jamais appelé de questions» et, en procédant par association d'idées, d'images ou même d'odeurs, il entremêle ces deux voyages  dans l'espace et dans le temps qui se répondent.

 

 Dans ce récit empli de sensibilité et de poésie, simple et touchant, les  odeurs tiennent une place prédominante, Ahmed Kalouaz exprimant très souvent l'amour de manière olfactive. Son héros «hume» avec bonheur «l'air du pays», respire ces «effluves» portées par la mer etle «parfum de la campagne humide», de cette terre qui est la sienne, comme il retrouve avec jouissance l'arôme de la canelle  ou du café moulu, et tous «les parfums d'herbes mystérieuses» de la cuisine de sa mère, «ces parfums, ces sensations sous le palais» par lesquels elle l'a «toujours tenu» car elle savait que «ça valait autant que dix mots d'amour».

 

Et au fil de ce long et lent parcours se dessine le double portrait d'un pays aimé et d'une mère qui a nourri à sa manière son fils de son amour, un portrait lucide mais apaisé car l'auteur comme son héros «sait faire le tri» pour ne retenir que le meilleur.

 

   * Avec tes mains a été réédité  dans la collection de poche Babel et sortira  le 22/08/2012 chez Actes Sud.

Ahmed Kalouaz, Nyons Lire en mai 2012

 

 

Une étoile aux cheveux noirs,
Ahmed Kalouaz,
Editions du Rouergue, novembre 2011,
108 p.

 

 

 Biographie et bibliographie de l'auteur :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Ahmed_Kalouaz

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