"Sulak", de Philippe Jaenada
Une chronique d’Astrid
"Qu’il me pardonne ou non
D’ailleurs, je m’en fous
J’ai déjà mon âme en peine
Je suis un voyou"
Georges Brassens
"Sulak" de Philippe Jaenada aux Editions Julliard : les diamants sont éternels …
Enfin un récit qui donne des fourmis dans les mollets et une terrible envie de dégoupiller le quotidien pour braquer sous l’œil aimant d’un Clyde de velours le diamantaire du coin de la rue. Stop, le travelling s’arrête là car « Bruno Sulak » le héros malgré lui du nouveau roman de Philippe Jaenadan’est pas Clyde et c’est décoiffé, la mine chiffon que le gangster le plus recherché du début des années 80 se retrouvera au tribunal face à ses juges.
Qui était vraiment Bruno Sulak ? Soldat bravant des guerres oubliées, roi de l’évasion et du hold-up zéro hémoglobine, la pommette slave, c’est curieusement un grand sens des valeurs qui anime le flux sanguin de ce jeune homme aussi élégant qu’imprévisible. Issu d’une famille dure au mal, il a gardé de ses origines polonaises le goût de l’effort « Regarde devant ce qu’il te reste à faire, ne regarde jamais derrière » et du Massilia de son enfance celui de l’esbroufe et du panache. Adolescent, il s’ennuie et c’est dans la légion qu’il apprend ses galons d’homme ainsi que le fit son père bien des années auparavant. Il la quitte sur un malentendu comme on quitte une fille trop aimée.
Début d’une histoire de ciné. Suspendue à son bras, Thalie la muse peu farouche éblouie par ses fanfaronnades et une cohorte de complices yougoslaves prêts à se faire trouer la peau plutôt que de le balancer. Des braquages de supermarchés de province à ceux des grands joailliers de la Riviera, il n’y a qu’un vol d’hirondelle et c’est en planant que Sulak passera de l’un à l’autre avec un brio de voyou aristo. Farceur, il se joue des forces de l’ordre et il faudra l’acharnement du super flic Georges Moréaspour venir à bout des tocades de ce gamin surdoué. Entre les deux hommes, comme une histoire d’amitié…. Y-a-t-il quelque chose au-dessus de la loi qui puisse enfin arrêter Bruno Sulak ?
La suite au cœur de ce roman brûlant d’amour pour son héros qui se lit comme on s’immerge dans un long métrage, suspendu aux images qu’il nous offre. Au-delà du portrait d’un homme c’est aussi celui d’une époque que retrace avec tendresse Philippe Jaenada car Il fut un temps où le talent des gangsters se mesurait à leur appétit pour la démesure. C’est bien de ce temps-là qu’il s’agit. Un grand roman nostalgique d’une certaine pègre, un hommage à un braqueur atypique mais aussi à ce jeune homme virevoltant dont on regrette qu’il ne soit plus là pour nous dire où est planquée la panthère de Cartier qui se retrouva dans sa poche. Par inadvertance…
Parsemant son récit de considérations drolatiques sur sa propre destinée, Philippe Jaenada réussit là un kidnapping littéraire de haute voltige qui en dépit du 100% testostérone de son sujet donnera à toutes les filles le désir fou de partir en cavale. Au bout du monde, il y a Rio.
Un grand merci pour cette épopée aussi documentée que flamboyante du banditisme français dont Bruno Sulak demeure le joyau incontesté en dépit de l’oubli médiatique dans lequel son nom est tombé à contrario d’un Mesrine dont on ne cesse de fleurir la tombe. Les diamants sont bien éternels.
Astrid Manfredi, le 03/12/2013
Sulak
Auteur : Philippe Jaenada
Editeur : Julliard
Nombre de pages : 486
Prix France : 22 euros TTC