Sang pour cent, de Dominique Combaud
Une chronique de Jacques.
Écrire une nouvelle peut sembler facile à ceux qui n’ont jamais tenté l’expérience. La brièveté du récit, parfois réduit à moins d’une dizaine de pages, peut laisser penser au néophyte que l’histoire sera vite expédiée : presque aussi rapidement écrite qu’elle sera lue. On imagine bien un écrivain débutant, paresseux ou peu sûr de lui, qui préfère se faire la plume (ou plutôt le clavier) sur ce genre d’écrit avant de se lancer dans un roman ou, mieux encore, une saga de douze volumes. En réalité l’apparente facilité d’écriture de la nouvelle est trompeuse. Peu d’écrivains sont capables de susciter l’intérêt de leurs lecteurs dès les premières lignes et d’augmenter l’intensité jubilatoire du lecteur jusqu’à la dernière ligne et la très attendue chute.
Quant à la difficulté du recueil de nouvelles, elle est plus forte encore : pour qu’il soit réussi, il faut non seulement que chaque histoire surprenne et ravisse, mais aussi que l’ensemble présente une réelle homogénéité d’écriture – ce qui devrait aller de soi, mais n’est pas toujours le cas – ou de thématique.
Avec son Sang pour cent (titre de la première nouvelle du recueil), Dominique Combaud surmonte allègrement ces risques et réussit là un véritable coup de maître-écrivain.
L’homogénéité entre chacune des nouvelles (visiblement écrites à des époques différentes) tient d’abord à leurs narrateurs. Ils ont tous des points communs et en particulier une même vision décalée de la réalité, la même façon singulière de lier réel et imaginaire. D’ailleurs, l’impression qui domine à la fin du recueil est que ces différents narrateurs ne sont qu’une seule et même personne à différents moments de sa vie. Un personnage plutôt jeune, sympathique, qui vit souvent de petits boulots (intérimaire dans une usine de fabrication de vitres, vendangeur, technicien au palais de Versailles pendant un sommet des chefs d’État...), et à qui il arrive des aventures (rêve ou réalité, vous jugerez) parfois terrifiantes. L’humour, souvent très noir, la verve, une grande légèreté de ton et d’écriture ainsi qu’un imaginaire débridé, sont les ingrédients de base de Dominique Combaud dans ce livre.
Le questionnement sur la réalité s’insinue partout, pas seulement dans les cauchemars du narrateur, mais aussi dans la façon dont l’auteur décrypte une réalité sociale, politique ou simplement liée aux aspects triviaux de la vie quotidienne. Quoi de plus banal qu’un travail d’intérimaire dans une usine, fut-elle de fabrication de vitres ? Mais quand les accidents s’accumulent, parfois dramatiques, notre intérimaire-narrateur commence à se poser des questions, que ses collègues semblent trouver superflues.
« En une semaine dans cette usine, j’avais vu bien plus de sang que dans toute ma vie réunie ! Des doigts coupés, des bras tailladés, et le pire, la veille, un type de mon âge qui s’était fait perforer le ventre en portant seul une baie vitrée qui lui avait explosé dans les mains. Un bout de verre en biseau lui avait transpercé l’abdomen, la mare de sang avait parcouru les deux-trois mètres qui séparaient nos postes de travail, et depuis personne n’en parlait, surement pour conjurer le mauvais sort. Et la vie continuait. Les rires aussi. Au petit matin, je me faisais l’effet d’un intrus au milieu des collègues qui se marraient pour un rien, qui se tapaient dans le dos, qui déballaient leurs sandwiches ».
Et quand, lors de son dernier jour de travail dans l’entreprise, il tombe par hasard sur des statistiques pour le moins surprenantes, tout va alors se détraquer pour lui, et la chute sera brutale !
Angoisse au moment de prendre l’avion à la suite de cauchemars récurrents qui vont peut-être devenir réalité, gitane qui lui prévoit un avenir... mais quel avenir ? intervention technique dans un sommet international qui va changer le comportement des chefs d’État... ce sont quatorze histoires malicieuses, ironiques et noires, toujours très noires, dans lesquelles j’ai été embarqué sans avoir aucun moyen de les quitter prématurément.
L’écriture de Dominique Combaud rappelle parfois celle du Britannique Saki dans son recueil La Fenêtre ouverte pour son côté grinçant et son humour. Mais c’est du côté de Philippe Djian et de son magnifique recueil de nouvelles cinquante contre un qu’il faut chercher l’influence, si influence il y a. C’est le même souci des détails de la vie quotidienne, la même simplicité apparente d’une écriture fluide, sans fioriture, dépouillée et terriblement efficace, une écriture qui, comme l’écrit Philippe Bilger à propos de Djian est « étrangeté, inattendu, provocation et défi à l’ordinaire des mots ».
Il est dommage que les nouvelles soient globalement si peu appréciées par les lecteurs français, qui leur préfèrent de loin le roman, car Dominique Combaud risque de rester ignoré du grand public. Le recueil cinquante contre un de Djian n’a été guère lu avant la sortie de 37° 2 le matin, de bleu comme l’enfer et de zone érogène. Leur succès a attiré les lecteurs de Djian vers son recueil de nouvelles, pourtant plus ancien. Peut-être Dominique Combaud suivra-t-il le même chemin ?
Il ne nous reste plus qu’à attendre son premier roman pour le savoir !
Cette chronique a également été publiée sur le blog lectures et chroniques
Sang pour cent et autres nouvelles
Dominique Combaud
Nouvelle(s) génération
260 pages ; 11 €