Poids léger, de Olivier Adam
Une chronique d'Eric Furter.
Le jour Antoine enterre des inconnus, le soir il boxe pour évacuer toute l'amertume rentrée face à la mort injuste:celle de ces êtres qui n'ont pas eu le temps de croquer la vie à pleine dent, de ceux dont la mort fut violente ou solitaire. Combattre est pour lui une occasion de se coltiner avec le réel et d'exprimer une rage inextinguible. Célibataire, paumé, désabusé, Antoine aime mal mais frappe bien. Chez Olivier Adam, on retrouve la douleurs de ces instants critiques presque initiatiques où la mort et la séparation révèlent aux hommes leurs dénuements devant l'existence, où tout se décante et nous rappelle que nous resterons à jamais des enfants blessés sans défense : la mort de son père, puis le mariage de sa sœur (dans l’œuvre du romancier on découvre toujours que cette dernière est toujours un être proche, adoré dont on se sépare difficilement (cf :Je vais bien, ne t'en fais pas, édition de l'olivier presse pocket.)
Sortir de l'enfance, voilà l'enjeu: oublier le temps des verts paradis enfantins, de l’émoi sexuel et incestueux, des enjeux sensuels qui laissent dans la mémoire une trace vive comme « ces journées à chasser les insectes sous le soleil cru. La rivière où on se baignait. Marie était terrorisée depuis qu'on lui parlé de serpents. Le chemin escarpé et raide dissuadait les familles. On s'installait sur de un large rocher qui dominait un bassin plus profond ,à l'eau plus franchement émeraude. Je plongeais de là et elle m'imitait exécutant toutes sortes de figures inventées. Puis on faisait les lézards, les yeux fermés face au soleil qui nous cuisait la peau ...C'était l'orage et nous étions loin...A l'entrée de l'abri la pluie redoublait, elle avait froid, nous étions serrés, elle a ôté ses vêtements, elle me regardait fixement, je lui ai demandé ce qu'elle avait à me regarder comme ça, elle sentait la mûre et la feuille de cassis, ses cheveux ruisselaient, elle n'a pas répondu, ne répondait pas, détournait les yeux, a décollé une mèche de mon front, je ne connaissais pas la douceur de sa peau sous ma main, le souffle qui sortait vaporeux de sa bouche qui happait mon regard et en occupait le champ, les mots qu'elle chantonnait de sa voix enrouée et enfantine »(pages23-24(
Alors Tonio sombre dans des ivresses nocturnes qui débouchent éternellement sur des petits matins blafards, fume des joints, couche avec des fiancées au charmes exotiques qu'il oublie très vite ; il ne respecte qu'un homme, Chef, son entraîneur de boxe, son mentor, une belle âme.
Olivier Adam emprunte beaucoup à la culture populaire du moment, aux refrains de chansons notamment ceux de Bashung, Murat et de Christophe, qui sont autant de scansion nostalgique dans la trame narrative du récit. C'est ce temps en creux et vide, un bégaiement des chose une hésitation qu'Olivier Adam sait mieux que quiconque parmi les jeunes romanciers prometteurs mettre à jour et dépeindre. Comme ses héros, nous restons parfois à la lisière (titre de son dernier roman ) de nos vies comme des sentinelles fatiguées attendant l'aurore.
Lisez ce beau roman à la révolte vaine et à la tendresse sans retour.
Éric Furter
Poids léger
Olivier Adam
Le seuil (collection Points)
144 pages ; 5,70 €