Pause café, recueil de nouvelles de Amédée Brumaire
Une chronique d'Albertine.
En premier lieu le plaisir gourmand avec laquelle l’auteur écrit, nous subjugue. Le rythme d’une langue fluide, virevoltante, précise et énergique nous entraîne dans des parcours familiers et étranges. Quel que soit le sujet traité, le véritable héros d’Amédée Brumaire sera la Pensée, puisqu’il s’agit encore et toujours, de donner à voir comment se pense le monde, comment tout objet d’attention devient objet d’analyse, et même l’inattention pourvu qu’elle prenne conscience d’elle-même !
Le recueil « pause café » rassemble trois nouvelles sur une intention clairement exprimée : donner à l’honnête homme que nous sommes une représentation de l’étrangeté et de la complexité du monde défini comme espace-temps ; l’aider à se construire une position entre les deux infinis ; le grand et le petit… l’aider à se rassurer puisque la frayeur est le lot des aventuriers de l’infini ; l’aider à surfer sur les paradoxes temporels ; l’aider surtout à comprendre ce que d’autres, quelques scientifiques sans plaque de rue, ont conçu, construit, prouvé, ou interrogé …à l’aide de modèles mathématiques, eux-mêmes objets de questionnements.
Il s’agit là d’une entreprise ambitieuse, à laquelle s’astreignent quelques revues de « vulgarisation scientifique » ou très récemment, quelques livres de scientifiques eux-mêmes. Mais Amédée Brumaire a l’ambition de nous aider à faire un pont entre les deux registres de représentation : la plus triviale qui soit, celle de l’homme de tous les jours, et la plus extraordinaire, celle des modèles mathématiques les plus puissants.
Plus que de vulgarisation, il s’agit d’une invitation à la méditation à laquelle il convie son lecteur, pourvu qu’il se donne la peine de penser. Bien entendu, ce lecteur sera soutenu par la solide culture scientifique de l’auteur, qui saura lui souffler les questions et rebondissements intéressants, et par la pensée jubilatoire qui s’exprime dans une succession de paradoxes, impasses, rebondissements, sur des registres variés, poétiques ou humoristiques.
Avec Pause café, l’auteur embarque ainsi son lecteur dans un voyage peu ordinaire à partir de situations qui le sont, et va remettre à sa place de poussière d’étoile le pauvre hominidé qui le lit.
Ordinaire des vies mises en scène, celle d’Etienne dans son rapport à la lecture quotidienne du journal, celle de Jean qui sirote un café à la terrasse d’un bistrot en regardant les passants qui passent, celle de Pierre contemplant le ciel et la mer depuis un balcon. D’emblée l’on sent qu’Amédée Brumaire, s’il a un don certain d’observation et d’analyse de ses contemporains, en fait un usage amusé et maîtrisé. Le lecteur est tout d’abord rassuré par ces contextes familiers, finement décrits, et de façon souriante et généreuse.
Mais… bien sûr, il y a un mais. Bientôt, l’on se rend compte que les nouvelles (du journal) n’ont rien de nouveau ; l’allure pressée des jeunes qui ont tout le temps devant eux est aussi incompréhensible que l’allure traînante des vieillards qui n’ont plus guère de temps à vivre ; l’immobilité du paysage est trompeuse pourvu que l’on y apporte une attention…détachée ; pourvu que l’on mette en mouvement son cerveau, organe anarchiste, producteur de l’utile « mais aussi de neuf inutile, gratuit, de neuf bizarre, de neuf curieux », « ou pire, de neuf dangereux, de nature à remettre en cause les méthodes et les instruments des pouvoirs établis ».
Très vite donc le lecteur devra s’immiscer dans cette pensée paradoxale, labile, qui fait tanguer « le bon sens », l’évidence, et le conduit précisément où Amédée Brumaire le veut : dans une vision du monde transfigurée, parfois épouvantable, mais toujours inattendue pour le lecteur moyen.
Pour ne parler que de la première nouvelle « le temps d’un café », nous voilà partis, devant la tasse de café de Jean, dans la recherche d’un temps perdu et retrouvé puisqu’il se révèle objectif mais subjectif, linéaire mais circulaire, absolu mais relatif, irréversible mais réversible, autre mais lié à l’espace, lequel « se construit à mesure qu’il est occupé », tout étant question d’échelle, de « localisation seulement en probabilité »…, de fractale, d’entropie, de big-bang et de trous noirs, de GPS et de plaques de rues. Vous devrez lire la nouvelle pour rendre ces antithèses intelligibles, et devenir, le temps de la lecture, délicieusement intelligents.
La pédagogie n’est pas la moindre qualité d’Amédée Brumaire, qui sait nous rassurer au moment où nous sommes prêts à craquer, en nous disant qu’Einstein lui-même avait du mal à accepter certaines conclusions «Ces propriétés inhérentes à la physique dite quantique (…) troublaient beaucoup notre ami Einstein, qui ne pouvait accepter cette remise en cuase d’une « réalité » matérielle supposée « objective », c'est-à-dire indépendante de l’observation et de ses appareillages. Les choses ne se sont pas arrangées depuis… ». De fait, il nous mène par le bout du nez comme si nous étions capables de suivre un raisonnement que seules d’inaccessibles équations mathématiques fondent et que seule sa grande culture scientifique nous rend presque évident.
Merci Amédée de me laisser penser, le temps d’un café, que je suis de la même espèce qu’Einstein !
Albertine, 28 janvier 2013