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Publié par collectif-litterature

evapores reverdy

 

Une chronique de Teluber

 

Avec les Évaporés, Thomas B. Reverdy signe un double hommage. A Richard Brautigan, tout d’abord, dont il distille habilement citations et poèmes tout au long de son roman, réussissant ainsi un bel exercice d’écriture sous contrainte.

 

Au Japon, aussi et surtout. Peu de pays ont autant excité l’imaginaire des occidentaux, fascinés par l’importance des valeurs traditionnelles dans un pays aussi à la pointe sur le plan technologique. C’est cette fascination teintée d’incompréhension que Thomas B. Reverdy dépeint à travers le regard de Richard B., détective privé et poète, double fictif de Brautigan. Un privé désabusé, selon l’archétype emprunté au roman noir, mais qui, contrairement à nombre de ses collègues de fiction, se consume d’amour pour une femme qui l’a fraîchement laissé tomber. C’est cet amour à sens unique qui le pousse à s’envoler vers le Japon, à la recherche du père de son ex-compagne.

 

La recherche de Kaze par sa fille Yukiko et le détective Richard B. vient illustrer une problématique spécifiquement niponne, celle des Johatsu, les « évaporés ». Traditionnellement, les Johatsu disparaissaient pour fuir une dette d’honneur dont ils ne pouvaient s’acquitter. Dans le contexte contemporain, les « évaporés » continuent de disparaître, mais fuient maintenant leurs créanciers qui sont, bien souvent, liés à la mafia. C’est le cas de Kaze, comme on le comprend dès le début du roman, contraint de disparaître sans laisser de trace pour protéger sa femme et assurer sa propre sécurité.

 

De réalités aussi prosaïques que celles de l’endettement et des yakuzas, le Japon en fait une matière surnaturelle, comme l’illustre un dialogue entre Richard B. et un jeune étudiant voyageur. Ce dernier, pour financer ses études et ses pérégrinations, exerce le curieux métier de locataire de maisons abandonnées. Les maisons de Johatsu, explique-t-il à Richard et Yukiko, ne sont pas louables en l’état. Elles sont vues d’un mauvais œil par nombre de Japonais, qui y voient des demeures où le malheur a élu résidence. Des personnes, souvent des étudiants, se font alors payer pour habiter ses maisons, et les libérer de leur « malédiction ».

 

Dans ce contexte, malgré la galerie de personnages dépeints par Reverdy, le plus important de tous est sans nul doute le pays lui-même. Un Japon fantasmé, onirique, rendu tel par l’atmosphère nébuleuse qui imprègne le roman. Deux des courts chapitres qui le composent sont d’ailleurs intitulés « Un rêve à Kyoto » et « Un rêve à Fukushima », et nous invitent à considérer l’histoire prestigieuse du pays et les limites auxquelles se heurtent toutes les civilisations contemporaines : celles de l’économie, et celles de la science.

 

Le roman laisse son lecteur sur une drôle d’impression, comme un conte qui nous invite à nous poser certaines questions : pourquoi choisit-on de disparaître ? Qu’est-ce qui peut pousser des hommes à se sacrifier pour nettoyer une zone contaminée ? Et surtout : jouissons-nous de la maîtrise de nos vies ? Kaze, Richard et le jeune Akainu semblent ballottés de vie en vie par les évènements, plus que mus par leurs propres décisions. Si l’on veut aborder cette question sous l’angle philosophique, c’est du libre-arbitre dont il est question ici. Si on veut l’aborder sous un angle plus poétique, c’est à la notion de destin qu’on se raccrochera. Chacun fera son choix. Comme les personnages des Evaporés, à bien y penser. Comme toujours, finalement.

 

Teluber

 

Les Évaporés
Thomas B. Reverdy
Flammarion
Coll. Littérature française
304 pages ; 19 €


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Commenter cet article
J
C'est un roman que j'ai beaucoup apprécié. Les avis sont assez partagés mais j'ai été sensible aux destins de Kaze et du jeune garçon ainsi qu'à la poésies de certaines descriptions.
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A
Excellente chronique, je me lance dans cette lecture à mon tour, c'est sûr.
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