La survivance, de Claudie Hunziger
Une chronique de Cassiopée.
C’est un livre qui vous parle au cœur. Rempli de nostalgespérance, de mélancodresse, tous ces sentiments mêlés que nous exposent, que nous partagent « deux vieux fous ». De ces vieux fous qu’on rêve de rencontrer, de connaître, d’être ? Il en faut du courage pour fermer la porte de sa librairie adorée, lorsqu’on a plus le choix et à soixante ans, se retrouver, en train de survivre dans une vieille bicoque sans confort, avec un chien, un âne … et des livres ….. Il en faut de l’envie pour rester droit, faire face à la neige, au froid, aux cerfs, à l’inconnu… |
Mais qu’est ce qui les tient debout ces deux sexagénaires ? Les livres !
Ils sont présents tout au long de ce roman comme autant de « bâtons de vieillesse », de tuteurs, de réceptacles ou de catalyseurs de leur(s) humeur(s) ; de leur(s) chagrin(s), de leur(s) joie(s)…
Ils sont le lien entre eux, ils sont le lien avec le lecteur, ils sont la vie…
Ils sont évoqués par l’intermédiaire du classement imaginé par Aby Warburg * (1866-1929) qui rangeait sa bibliothèque de façon très originale, les livres se côtoyant par « bon voisinage**».
Dans les conversations et les silences de nos deux protagonistes: Sils et Jenny, chaque livre sera nommé à un moment précis de l’histoire, comme une évidence, parce que c’est à ce moment-là qu’il a sa place, qu’il « voisine » avec le reste du texte. D’ailleurs, même l’ânesse a son mot à dire sur les lectures.
Au plus triste de leur désespérance, la lecture les nourrit, elle les porte, les supporte, même lorsqu’il faut se séparer d’un de ces recueils qu’on a toujours eu avec soi pour un peu de monnaie.
Je me suis plu à imaginer Jenny avec le visage de Claudie Hunzinger, portant un pantalon un peu court avec des poches au genou, de grosses chaussettes, humant la terre, la forçant à donner le meilleur d’elle-même pour qu’elle puisse manger les légumes qu’elle avait plantés.
Je les ai vus, tous les deux, discutant, renâclant, avançant, vivant de bric et de broc mais vivant libres …..
Ce livre est magnifiquement écrit, comme une partition musicale, chaque terme est pesé, associé aux autres sans précipitation pour être mélodieux. Une grande sérénité nous habite malgré les moments difficiles vécus par les personnages. Les mots s’enchaînent formant ainsi une douce chanson pour notre plus grand bonheur.
* Selon la légende familiale, Aby Warburg, premier né d'une fratrie de sept enfants et héritier d'une dynastie bancaire installée à Hambourg depuis le xvie siècle, scella son destin à l'âge de treize ans, lorsqu'il céda son droit d'aînesse à son cadet Max contre la promesse que celui-ci lui achèterait, sa vie durant, tous les livres qu'il voudrait.
** La loi de bon voisinage » est l’expression curieuse que Warburg choisit de donner au principe établi pour sa bibliothèque. Cette loi repose sur l’idée que le livre que l’on cherche, dans bien des cas, n’est pas le livre dont on a réellement besoin. Par contre, grâce à l’organisation thématique des étagères, il est probable que le livre d’à côté, bien qu’on ne puisse le deviner à son titre, contienne « l’information vitale ».
Titre: La Survivance
Auteur: Claudie Hunzinger
Éditions : Grasset (29 Août 2012)
Nombre de pages: 280
ISBN: 978-2246798729
Quatrième de couverture
Jenny et Sils sont contraints par la dureté des temps de rendre les clefs de leur librairie et de leur domicile. Ils vont chercher refuge dans une maison perdue, en ruines, perchée dans la montagne. Avec leurs cartons de livres, une ânesse et une chienne, il leur faut s'acclimater à cette nouvelle existence : survivre aux intempéries, tels des Robinson Crusoé du XXIème siècle exclus de la société matérialiste. Dans cet âpre combat, la redécouverte des corps, l'apprentissage de l'isolement et la puissance de la littérature leur feront-ils découvrir une nouvelle manière d'être au monde ?