L'attente du soir, de Tatiana Arfel (chronique 3)
Une chronique de Cassiopée.
Quel beau livre! On aurait presque peur de l'écorner en ne trouvant pas les bons mots pour en parler.
Une histoire où trois voix s'expriment tour à tour.
Une dans la lumière et les couleurs, le clown.
Deux dans l'ombre et le sombre: Mademoiselle B et le môme.
Le premier existe sous le regard des autres, par procuration en quelque sorte et les couleurs qui l'illuminent sont presque trop "poussées", artificielles.
Les deux autres n'existent pas puisqu'ils ne sont pas regardés....
N’existe-t-on qu’à travers le regard des autres? Et sous quelle forme?
Le clown existe-t-il ou est-ce son image qui le fait vivre?
“Le cirque circonscrivait la vie extérieure à une place éloignée et inoffensive, et permettait aux égratignés de trouver un lieu où s’épanouir sans trop de casse supplémentaire.”
Trois personnages, trois solitudes (car même au milieu des autres, on peut être seul, désespérément seul...) qui ne savent pas exprimer leurs sentiments ou alors qui en ont peur, comme on a peur de quelque chose que l’on n’a jamais connu... (le clown se dévoile plus mais cela reste parfois en retrait...)
Trois existences qui sont là, entraînées par la spirale de la vie, n’ayant pas le choix de se dire “Est-ce que c’est cela que je veux vivre?”
Jouent-ils un rôle parce qu’ils ne savent pas être eux?
Présence des couleurs, des odeurs, de la lumière, des lumières, exacerbation des sens.....
Communication entre les êtres par la couleur (le clown qui va “apprivoiser” le môme par cet intermédiaire.), le môme qui donne vie à “l’âme” de ceux qu’il peint.....
Les voyages, l’un le fait sur la route, l’autre dans sa tête, la dernière....
L’errance?
Au départ séparés puis au fil des (trois) parties se rapprochant:
Un plus un plus un
Avant de devenir
Trois
Ces être sont-ils en chemin vers eux-mêmes, ou vers les autres? La vie est-elle pour eux, ce cheminement jusqu’à être soi, jusqu’à être trois?
Les uns sans nom, ne pouvant pas dire “je”, puis....petit à petit, au contact des autres, s’éveillant, se réveillant .... se regardant prendre vie, prendre couleur, passant de l’ombre à la lumière, du gris à la couleur.....
C’est d’une écriture poétique, très forte et profonde où chaque mot à une place que Tatiana Arfel nous emmène dans ce “conte”... de la Collection “Merveilleux”...
Il faut se laisser happer par le style, posé, incisif, qui parle au cœur et à la tête....
En effet, sous des aspects de fable, la réflexion est juste, affinée, décortiquée...
La souffrance des êtres (et page 305, une très belle analyse: protéger nos enfants de la souffrance, est-ce une bonne chose? ”Et quand on ne sera plus là alors, comment se défendront-ils contre cette souffrance monstrueuse: votre absence?”, la place de la parole (le môme qui ne parle pas, mademoiselle B qui ne parle que pour ce qui est nécessaire, le clown qui parle pour faire rire..., l’oral peut-il être une thérapie?), la solitude, le rapport à l’autre, la place de l’art dans la communication entre les personnes...
L’art comme la parole pour avancer vers un mieux à défaut de guérir de ses blessures....
“Je pense que tant qu’on souffre, il y a encore quelque chose à faire.”
De nombreux thèmes abordés avec une délicatesse qui en dit long sur la sensibilité de l’auteur....
Une magnifique et envoutante histoire.... à fleur de peau, à fleur de mots...
Deux autres chroniques sur L'attente du soir :
L’attente du soir
Tatiana Arfel
Editions José Corti
325 pages
19,25 €
Présentation de l'éditeur
Ils sont trois à parler à tour de rôle, trois marginaux en bord de monde. Il y a d’abord Giacomo, vieux clown blanc, dresseur de caniches rusés et compositeur de symphonies parfumées. Il court, aussi vite qu’il le peut, sur ses jambes usées pour échapper à son grand diable noir, le Sort, fauteur de troubles, de morts et de mélancolie. Il y a la femme grise sans nom, de celles qu’on ne remarque jamais, remisée dans son appartement vide. Elle parle en ligne et en carrés, et récite des tables de multiplications en comptant les fissures au plafond pour éloigner l’angoisse. Et puis il y a le môme, l’enfant sauvage qui s’élève seul, sur un coin de terrain vague abandonné aux ordures. Le môme lutte et survit. Il reste debout. Il apprendra les couleurs et la peinture avant les mots, pour dire ce qu’il voit du monde. Seuls, ces trois-là n’avancent plus. Ils tournent en rond dans leur souffrance, clos à eux-mêmes. Comment vivre ? En poussant les parois de notre cachot, en créant, en peignant, en écrivant, en élargissant chaque jour notre chemin intérieur, en le semant d’odeurs, de formes, de mots. Et, finalement, en acceptant la rencontre nécessaire avec l’autre, celui qui est de ma famille, celui qui, embarqué avec moi sur l’esquif ballotté par les vents, est mon frère. On ne cueille pas les coquelicots, si on veut les garder vivants. On les regarde frémir avec ces vents, dispenser leur rouge de velours, s’ouvrir et se fermer comme des coeurs de soie. Giacomo, la femme grise, le môme, que d’autres ont voulu arracher à eux-mêmes, trouveront chacun dans les deux autres la terre riche, solide et lumineuse, qui leur donnera la force de continuer.