Entretien avec Sylvie Bourgeois
Après avoir écrit une chronique sur J'aime ton mari, le dernier roman de Sylvie Bourgeois publié en mars 2014 chez Adora, Cassiopée a interrogé l’auteur pour le collectif-littérature.
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Cassiopée. Cécile Harel et Sylvie Bourgeois sont une même et seule personne comme Patrick Cauvin et Claude Klotz ou d’autres…. En dehors du fait de différencier vos deux types de livres et donc d’écriture, pourquoi ce besoin de publier sous deux noms ?
Sylvie Bourgeois. C'est parti d'un truc tout bête, Flammarion devait sortir Sophie à Megève au mois de novembre 2012 et Les Escales avait prévu de publier En attendant que les beaux jours reviennent fin août. Comme dans la même année, j'avais déjà publié Sophie à Cannes en octobre 2011 et Sophie au Flore en mai 2012, cela faisait beaucoup, j'ai donc pris mon nom d'épouse, Harel, puis mon deuxième prénom, Cécile. Cécile Harel, je trouvais que cela sonnait mieux.
Cassiopée. Peur de ne pas être « reconnue » à votre juste valeur ?
Sylvie Bourgeois. Oh non ! Jamais de la vie, je les aime toutes les deux, elles risquent d'ailleurs d'avoir de la compagnie, je ferai très certainement d'autres romans sous d'autres noms que j'ai déjà en tête. Ce ne sont pas des pseudos car je ne me cache pas, ce sont des doubles, ce qui est une convention très admise dans la littérature, on peut leur inventer des passés comme des autres vies que nous aurions aimé avoir.
Cassiopée. Peur d’avoir été étiquetée sous un certain style de livres ?
Sylvie Bourgeois. Non, j'aime autant mes livres amusants que mes livres soi-disant plus sérieux, et puis j'ai écrit tous mes premiers livres sous le nom de Sylvie Bourgeois dont Brèves enfances (recueil de nouvelles publié au Diable Vauvert) qui est plus dans une veine émouvante. Vous voyez, il n'y a rien de calculé, ça s'est fait ainsi, et je l'assume, d'autant que En attendant que les beaux jours reviennent est mon roman qui s'est le mieux vendu, il marche très bien en ce moment en format poche chez Pocket et vient de sortir en Allemagne chez Piper.
Cassiopée. Pourquoi ce besoin d’écrire sous ces deux formes ? Y-en-a-t-il un où vous êtes plus à l’aise ?
Sylvie Bourgeois. Non. Quand je commence un roman, je fais toujours la même mise en page, sur la même taille d'ordi, un mac 13 pouces, et je mets tout de suite mon nom de Sylvie Bourgeois sous mon titre. Le changement de nom ou pas arrive quand il est fini et que je le vends à un éditeur.
Cassiopée. Cécile Harel fouille les âmes, construit moins de dialogues, Sylvie Bourgeois écrit de façon vive, alerte, restant (en apparence) plus dans la surface des événements.
Sylvie Bourgeois. La différence vient de la distance que je prends vis à vis de mon sujet. Quand j'écris au "je" comme dans En attendant que les beaux jours reviennent, je vais chercher mon inspiration dans le bas de mon ventre, là où il y a de la douleur et mon écriture devient automatiquement plus introspective, plus bouleversante aussi, ce sont de nombreux chapitres que je rédige les larmes aux yeux. En revanche, pour mes Sophie à Cannes, Sophie au Flore ou J'aime ton mari, j'utilise toujours la 3ème personne du singulier, le "elle" me permet de rester dans la légéreté et d'aborder les événements de mes héroïnes avec plus de joie et d'audace, même si parfois elles traversent des épreuves difficiles, elles gardent un aspect positif et un espoir qui me permet de tendre mes romans vers une fin heureuse. Et puis, je peux ainsi aborder des thèmes graves avec la dialectique de mes héroïnes qui, passionnées, s'emportent facilement sur des sujets de société importants avec un bon sens réjouissant.
Cassiopée. Pour « J’aime ton mari », pensez-vous que la scénariste que vous êtes a pris la plume, envisageant la mise en images du roman ?
Sylvie Bourgeois. J'ai la chance d'être également scénariste, je n'écris donc jamais mes romans en pensant à un futur scénario, j'aime trop la littérature pour cela, en revanche, il est vrai que j'adore les dialogues. Je les travaille longuement pour qu'ils sonnent justes, qu'ils reflètent exactement le milieu ou la psychologie de mes personnages qui ont chacun leur logique, leur voix et leur dialectique. Je relis toujours plusieurs dizaines de fois mes livres à voix-haute pour les corriger à la virgule près. Pour l'écriture d'un roman, je suis guidée par l'émotion et par le style, pour un scénario, c'est différent, je vais penser en premier à la situation dramatique de chaque scène et puis pour ce travail, je ne suis pas le chef, je suis juste un élément de l'équipe dédiée au réalisateur qui est le seul à avoir le pouvoir, c'est très reposant à partir du moment où on l'accepte, sinon on vit dans la frustration, c'est agréable aussi d'être à plusieurs, on peut échanger nos énergies ou si on est fatigué, prendre celle de l'autre, alors qu'avec le roman, vous êtes seule, seule à décider, seule à réfléchir, seule à canaliser votre excitation ou au contraire seule pour trouver vos forces internes, personne ne vous donne un coup de main, mais j'aime bien ça.
Cassiopée. Quand on lit « J’aime ton mari », on pense plutôt « Famille je vous hais », et vous ?
Sylvie Bourgeois. J'ai adoré mes parents, Pierre et Hélène Bourgeois (nous vivions à Besançon) qui hélas sont décédés en 1996 pour mon père et en 1997 pour ma mère. Mes parents étaient beaux, drôles, généreux, ils m'ont appris la curiosité, la joie et la liberté. Je leur envoie un baiser chaque soir avant de m'endormir. Ils me manquent terriblement. J'aurais aimé qu'ils sachent que je suis devenue écrivain, je suis sûre que cela leur aurait plu, surtout qu'adolescente, j'étais très difficile, je me faisais renvoyer de tous les lycées, j'ai dû beaucoup les inquiéter.
Cassiopée. « Famille je vous aime ? » ou « Famille je vous aime oui, mais pas trop près ? »
Sylvie Bourgeois. J'ai décidé et très jeune de ne pas faire d'enfants et de ne pas fonder de famille. J'ai besoin d'avoir de grandes plages de solitude dans la journée.
Cassiopée. Votre héroïne, dans « J’aime ton mari » a un excellent QI et en oublie sa féminité. Pensez-vous que parfois, « intellect brillant» et « féminité » ont du mal à cohabiter ?
Sylvie Bourgeois. On ne peut pas être champion du monde dans plusieurs catégories ! Penser à être jolie en permanence prend de l'énergie et du temps que mon héroïne, Emma, a préféré consacrer à ses études. Ensuite, oui bien sûr, il y a des femmes (comme des hommes d'ailleurs) qui naissent très gâtées par la nature, belle, intelligente, gentille, généreuse, douée pour la musique et la chanson, et le dessin, et l'équitation aussi… Mais bon, je crois que ce qui plonge l'être humain dans la joie, c'est quand même d'être dans la pensée, alors jolie ou pas, si on fait travailler son cerveau, on ne connaît plus jamais l'ennui et on devient passionnant pour les autres.
Cassiopée. Pensez-vous que les réunions familiales cristallisent les problèmes de relations entre frères et sœurs ?
Sylvie Bourgeois. En tous cas, elles sont un excellent ressort dramatique pour tendre une situation qu'elle soit comique ou triste.
Cassiopée. Comment et quand en êtes-vous venue à l’écriture ?
Sylvie Bourgeois. Sur le conseil d'un homme. C'était en janvier 2003. Je me suis installée dans un petit hôtel de la rue du Dragon à Saint-Germain-des-Près pour y écrire mon premier roman Lettres à un monsieur qui est sorti quelques mois plus tard aux Editions Blanche. Je n'avais jamais songé à écrire un livre auparavant. Je suis restée enfermée pendant un mois à écrire jour et nuit, c'était formidable. Vous pouvez en lire un extrait sur mon blog : http://sylviebourgeois.over-blog.com/. Vous y trouverez aussi quelques nouvelles parues dans Brèves enfances et d'autres publiées dans des recueils collectifs, j'aime beaucoup le format de la nouvelle.
Cassiopée. Avez-vous des rituels pour écrire ?
Sylvie Bourgeois. Soit je suis en train d'écrire un roman, soit je n'écris pas. Quand je décide d'écrire un nouveau roman, je ne fais que ça, je me lève et j'écris pendant 8 à 10h d'affilée. Je travaille de façon très concentrée. Je crois que c'est d'ailleurs ce qui me plaît dans l'écriture, la concentration que cela exige. Je n'ai plus peur de mourir. Je ne suis plus éparpillée. Dans ces cas, je ne prends jamais de déjeuner avec mes copines (excepté pour ma Nathalie, mon amie d'enfance que je connais depuis l'âge d'un an, si elle m'appelle, je ne peux pas lui refuser et je la rejoins à la brasserie du Nemours, au Palais Royal là où nous avons nos habitudes, c'est à mi distance de nos deux habitations), ni de rendez-vous à l'extérieur. Si j'ai une urgence professionnelle, je vais essayer de ne sortir qu'à partir de 17h, jamais le matin sinon ma journée de travail est foutue, si je parle, je ne peux plus écrire.
Cassiopée. Pensez-vous que vos différentes « casquettes » vous sont indispensables ?
Sylvie Bourgeois. Indispensables, non, mais elles me nourrissent.
Cassiopée. Êtes-vous soucieuse de l’avis de vos lecteurs ?
Sylvie Bourgeois. Si on parle vraiment d'avis, tout dépend du lecteur. Comme dans une boutique de fringues, si la vendeuse est vêtue comme un sac et n'a aucun goût et vous affirme que votre robe vous va très bien, c'est certainement qu'il ne faut pas l'écouter. Mon mari est un excellent lecteur. Ensuite, évidemment, je suis sensible quand mes lecteurs ont aimé mon livre ou me disent qu'ils se sont identifiés à mon héroïne. Pour En attendant que les beaux jours reviennent, j'ai reçu de nombreux témoignages, les personnes parlent plus facilement de votre livre quand ils ont été bouleversés par celui-ci.
Cassiopée. Quels sont vos projets en cours ?
Sylvie Bourgeois. Pour le moment, je continue de m'occuper de mon roman J'aime ton mari. Durant le Festival de Cannes, Canal+ offrira à leurs invités VIP dans leur patio mes romans Sophie à Cannes et J'aime ton mari, ainsi qu'un très joli tee-shirt J'aime ton mari fabriqué par La fée maraboutée qui est mon partenaire pour ce livre (ils ont organisé de très belles soirées, 4 à Paris et 4 en province aux cours desquelles ils offraient mon roman et ce fameux tee-shirt à leurs invités, Florence Darel ou moi y faisions une courte lecture). Tout cela était tellement joyeux qu'ils ont décidé de prolonger notre collaboration en me proposant d'écrire des billets sur un blog qu'ils viennent spécialement de créer. Ensuite, je me remets sur mon roman L'Architecte, il est écrit, mais je viens de trouver comment le restructurer. Du coup, je suis comme un étalon dans un box, je piétine pour avoir enfin du temps rien qu'à moi pour m'y replonger. Et cet été, je recommence un roman amusant, vous savez, c'est tellement gai d'écrire en riant.