Coupes sombres, de Guilio Minghini
Une chronique d’Astrid
« Coupes sombres » du jeune auteur Guilio Minghini s’inscrit dans la lignée de ces courts romans qui déroutent et dont on se demande s’ils sont réussis ou partiellement inaboutis. Au fil des pages, l’interrogation subsiste : Ou l’auteur a-t-il bien voulu en venir ? L’acte de suicide est-il encore un acte romanesque ? Un roman destiné à ceux qui s’ôtent la vie invite-t-il à l’empathie ? Une fois ces interrogations de lecteur trop rationnel ou émotif écartées, on se laisse enchanter par le pouvoir vénéneux de ce texte en quête de contemporanéité stylistique.
S’en dégage un spleen contagieux, une ambiance chirurgicale tempérée de brèves escarmouches poétiques qui vous poursuit bien plus longtemps que prévu. Pour orchestrer cette esthétique, Giulio Minghini se glisse dans la peau d’un narrateur-metteur en scène looser apprenant un jour par mail la tentative de suicide de Sophie, l’une de ses conquêtes.
Fou de lui avant d’être fou d’elle, il se rend sur les lieux et autopsie sa relation amoureuse avec cette amante éperdue qui s’est ruée sur la passion comme elle le fit sur la bouteille, les psychotropes ou les hommes d’un soir. Tour à tour narcissique, lucide et rongé par la culpabilité, le narrateur revisite cette érotomanie dont il fut l’objet et qu’il préféra fuir. Tentative d’explication de la dépendance affective féminine, de la mauvaise attribution des rôles dans le jeu de l’amour et du hasard, Coupes sombres brouille les pistes et déstructure autant la temporalité que l’espace littéraire à l’image d’un théâtre slave New Age cherchant à s’affranchir des unités de lieu et de temps.
Parfois, la lecture se floute, perd ses repères et l’on s’interroge sur ce qui anime les protagonistes de cette sombre histoire. Pris au piège dans cet abime de l’âme, le lecteur se retrouve contraint à suivre pas à pas le blues et les confusions de ce narrateur-metteur en scène échoué sur une scène de vie trop vaste pour lui. Un surprenant parti-pris narratif à l’image d’une liaison amoureuse déterminée à se foutre en l’air, une liaison-alibi dont l’auteur décuple l’esthétique en explorant d’autres chemins d’écriture. Tragédie littéraire transcendant les codes du théâtre, Coupes sombres réinterprète l’amour fou sublimé par les surréalistes même s’il emprunte au cynisme d’aujourd’hui. Aussi, l’ombre du Nadja de Breton plane-t-elle sur cette passion funambule en perte d’équilibre condamnant au suicide une jeune femme avide d’un premier rôle.
Avec ce second opus repéré par les éditions du Seuil Giulio Minghini, auteur du remarqué Fake, entre dans le sérail très convoité des jeunes écrivains en devenir. A l’aune de l’esthétique littéraire de Giulio Minghini, à la fois inventive et dérangeante, se profilent de beaux romans.
Astrid MANFREDI, le 08 juin 2012 (laisse parler les filles)
Informations pratiques
Roman : Coupes sombres - Auteur : Giulio Minghini
Editeur : Seuil, mai 2012 - Nombre de pages : 76
Prix France : 13 euros
Giulio Minghini est né en Italie en 1972. Il a publié Fake (Allia, 2009). Coupes sombres est son deuxième roman.