L’homme qui vivait sous terre de Richard Wright (The Man Who Lived Underground)
Le premier jet de ce récit a été écrit vers 1940, d’abord sous forme de nouvelle puis plus étoffé. Cette version intégrale est suivie de « Souvenirs de ma grand-mère » qui expliquent la genèse du roman, d’une postface et de remarques sur les textes. Cela complète vraiment la lecture en apportant d’autres angles de vue (notamment un parallèle avec l’allégorie de la caverne) et c’est très intéressant.
L’auteur, afro-américain, est décédé en 1960 à Paris où il s’était réfugié pour exprimer librement ses idées. Il était en contact avec Camus et Sartre. Il souhaitait que son œuvre serve à « rassembler deux mondes, celui des blancs et celui des noirs, afin de n'en faire plus qu'un. »
L’histoire contée ici, celle de Fred Daniels, m’a captivée. Elle parle de la place des personnes noires dans la société américaine, des violences policières, de la destruction d’un homme qui, embarqué dans un tourbillon qu’il ne maîtrise plus, devient un autre, comme si sa vie s’était scindée en deux.
C’est encore tellement d’actualité que c’en est troublant … Fred travaille chez un couple où il fait des petits travaux. Il repart avec sa paie de la semaine, content, pour aller retrouver sa femme sur le point d’accoucher. Un homme ordinaire pour une vie simple …. sauf que …. il croise une voiture avec des policiers blancs et lui, on le comprend, il est noir. Il y a eu un crime dans le quartier. À quoi bon chercher un coupable alors que les agents en ont un, potentiel, sous leurs yeux ?
Bien sûr, c’est totalement injuste mais sûrs d’eux, de leur suprématie, ils embarquent Fred qui ne comprend rien et essaie de se défendre. Il n’est pas écouté, il est violenté. Inquiet pour son épouse, il signe, à bout de force, des aveux. Pourtant, il pense à tous ceux qui pourraient témoigner et dire qu’il est quelqu’un de sérieux mais il sait bien que ça ne servira tant les autres sont, non pas persuadés de sa culpabilité mais persuadés qu’ils peuvent lui escroquer des aveux. Avant d’être incarcéré, on lui « offre » la possibilité de voir sa femme et lorsqu’il en a l’occasion, il s’enfuit. Un peu sur un coup de tête, sans réfléchir. Peut-être simplement, pour prendre du recul face à cette situation ubuesque et trouver comment remettre les choses en place.
L’endroit où il se cache est atypique et ne lui permet de rentrer en contact avec sa compagne. Il doit se débrouiller seul pour survivre et il voit en quelque sorte « l’envers du décor ». Il observe sans être vu, l’attitude de ses semblables, des policiers, de gens inconnus …. Il est déconnecté de son quotidien habituel, il est un autre homme.
« […… ]il était certain d’une chose : sa vie s’était comme fendue en deux. »
Mais Fred ne peut pas vivre caché car ce qu’il découvre le révolte. Alors, il veut revenir s’expliquer, se faire justice. Sera-t-il entendu, écouté, compris ?
C’est un livre puissant, parlant de nombreux thèmes : le racisme, l’injustice, les relations humaines etc. L’auteur envoie un message fort sur l’homme qui disparaît dans le noir et qui revenant à la lumière rencontre des problèmes. A-t-il été profondément transformé par son séjour loin du quotidien ?
L’écriture (merci à la traductrice) est fluide. C’est avec des mots simples qui font mouche que l’on pénètre tout d’abord dans un univers impitoyable puis dans un espace à part où la réalité s’éloigne.
Cet opus est marquant et restera gravé en moi.
Version intégrale suivie de Souvenirs de ma grand-mère
Auteur : Richard Wright
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nathalie Azoulai
Éditions : Christian Bourgois (1er Février 2024)
ISBN : 978-2267049961
242 pages
Quatrième de couverture
Fred Daniels, un jeune homme noir, se fait arrêter par la police à la fin d’une journée de travail, alors qu’il s’apprêtait à retrouver sa femme qui est sur le point d’accoucher. Un double meurtre a été commis dans le voisinage, et la police a besoin d’un coupable : ce sera Fred Daniels. Mais il parvient à s’échapper presque miraculeusement.