Sur les chemins perdus de Stéphane Chaumet
Court mais percutant !
En sortant de prison, Karen a contacté Sacha. Pourquoi lui ? Elle ne sait pas vraiment l’expliquer. Il avait animé des ateliers d’écriture lorsqu’elle était emprisonnée et un lien ténu, mais un lien quand même, s’était tissé entre eux. Est-ce pour ça qu’il lui avait laissé son numéro de téléphone, pour poursuivre éventuellement les séances ? Ou plutôt pour qu’elle ait quelqu’un à qui se raccrocher une fois dehors ?
Toujours est-il qu’elle envoie un sms et qu’il lui répond. Elle débarque chez lui pour partager une soupe. Et ce ne sera pas seulement un repas, elle va au fils des rencontres et des jours, vider son sac, petit à petit, par balbutiements, par bribes, car ça lui fait mal de revenir sur son histoire. Elle a une trentaine d’années mais c’est comme si elle avait vécu vingt vies.
C’est un long monologue qui nous est présenté mais il n’a rien de soporifique, bien au contraire. L’auteur a une plume sure, sensible, très juste dans le propos. Il a fait de nombreux séjours en Amérique du Sud, a vécu à Bogotá où se déroule ce livre. Qu’a-t-il observé, vu ?
Il décrit le cheminement de Karen, les routes qu’elle a prises suite à de terribles concours de circonstances. Les choix qu’elle a faits, ceux qu’elle a subis car il ne pouvait pas en être autrement. Ses espoirs, ses peurs, ses désillusions. Son envie de vivre, d’avancer, de s’en sortir malgré les difficultés, les obstacles. Elle s’est fourvoyée, Karen, elle n’a pas toujours fréquenté les bonnes personnes mais sa volonté lui a permis de continuer même face à l’injustice. Les FARC, les paramilitaires, la violence de la guérilla, les rapports sexuels forcés, l’avortement, elle a tout connu dans des conditions exécrables, à la limite invivables. Elle a dû mentir pour survivre. Comment s’en sortir avec de tels traumatismes comme bagages ?
L’auteur a su se glisser dans la peau d’une femme, il lui prête sa voix et porte sa parole à travers ses mots, ses phrases, dans un style puissant, porteur de sens, bouleversant. Il nous montre comment la prison peut transformer en bien ou en mal. Il évoque les médias en Colombie qui ne s’intéressent aux geôles que lorsqu’il y a des mutineries ou des morts.
Cette lecture a été pour moi une claque. Stéphane Chaumet a su me transmettre des émotions très fortes à travers le parcours chaotique d’une femme attachante malgré ses erreurs. Qui n’en fait pas ? Qui pourrait se permettre de la juger ? Même la justice s’est trompée….
Ce roman est un cri.
Celui d’une femme qui hurle sa détresse, sa honte quelques fois, son besoin viscéral de vivre malgré tout. Comme si en se confiant elle expulsait tout ce qui l’a détruit pour se reconstruire enfin.
Celui presque muet de Sacha, qui écoute, accompagne, guide en toute discrétion, acceptant les sautes d’humeur, les revers de Karen lorsque l’émotion la submerge et qu’elle n’arrive plus à communiquer.
Celui silencieux du lecteur, de la lectrice, le ventre noué, les larmes au bord des cils qui espère des jours meilleurs pour cette femme….
Éditions : Globe (11 Janvier 2024)
ISBN : 978-2383612759
144 pages
Quatrième de couverture
Après cinq ans d’emprisonnement, Karen regagne la liberté et les rues bruyantes de Bogotá. Enfermée, elle avait fini par trouver sa place, malgré la promiscuité et les injustices de cette société miniature. Une fois dehors, elle se tourne vers Sacha, un poète venu donner des ateliers d’écriture aux prisonnières. Avec lui, elle ne va pas écrire, mais parler, livrer le récit d’une vie bouleversée par la violence.