Mon sous-marin jaune de Jón Kalman Stefánsson (Guli kafbáturinn)
Le récit commence par les souvenirs d’enfance d’un homme, il présente son lien avec les chansons des Beatles (dont « Yellow Submarine » qui a donné le titre à ce roman), sa relation à la religion avec « l’Éternel » présent dans son quotidien. C’était un gamin solitaire dont la mère a disparu trop tôt et pour qui la communication avec son père était compliquée. On apprend qu’il est devenu écrivain.
Et puis, on découvre ce monsieur assis dans un parc londonien, il aperçoit Paul McCartney pas loin de lui. Il s’interroge, lui parler ou pas ? Il aimerait bien mais est-ce une bonne idée ? Il pense et remontant le temps, il partage ses souvenirs, ce qu’il a vécu, sa solitude, son inquiétude, ses désirs… Il les laisse venir à lui comme ça dans le désordre, un fil en tirant un autre …
Pour combler le vide laissé par sa maman et le peu d’intérêt manifesté par son paternel, l’enfant lit la Bible, rencontre un Dieu, l’Éternel qui n’est pas toujours aussi « aimant » qu’il l’imaginait. Un peu comme son père. Il ne manifeste pas beaucoup d’intérêt pour son fils et ce dernier se questionne sur son affection…. Pour ce jeune garçon, Dieu intervient parfois mais pas forcément à bon escient, et il n’est peut-être pas celui qu’on imagine….. « [….] en réalité le Démon qui tente d’usurper son identité. Il y parvient si bien qu’il abuse tout le monde. Ce qui signifie que depuis lors, depuis des millénaires, c’est en réalité le Diable et non Dieu qui a façonné les hommes. » Alors il cherche des réponses ailleurs.
C’est un livre sur la tristesse d’un enfant solitaire, qui se construit au fil du temps, grâce aux rencontres plus ou moins réussies. Il cherche l’amour dans le regard des autres, dans ses actes, dans sa passion pour les Beatles qui lui apporte du réconfort.
Très personnel, déstructuré, le texte peut surprendre mais il est très riche. Riche de lieux, de dates, de personnages, de réflexions personnelles qui vont de plus en plus loin au fil des pages. Certains passages sont emplis d’humour, presque jubilatoires. Lorsque l’auteur (le « héros » du livre pas Jón Kalman Stefánsson, quoique….) prend une leçon de conduite et perd tous ses moyens parce que l’assassinat de Lennon est annoncé à la radio, c’est un pur moment d’humour et même de poésie. Le moniteur d’auto-école est très en colère contre son élève qui a fait une bêtise, mais …..
« Il enfile ses lunettes et découvre Kolbrún dont la beauté et la gentillesse le changent aussitôt en ange de douceur, réduisant à néant le démon écumant et ses postillons. »
Ce recueil foisonnant, casse les codes de la temporalité, de la linéarité. Très libre, Stefánsson ose, il se confie l’air de rien sous le couvert d’une fiction. C’est un peu désarçonnant, surprenant, mais très original. Je pense sincèrement que c’est même très fort, car cette espèce de « mosaïque » en apparence sans queue ni tête est à mon avis quelque chose de parfaitement « construit » dans l’esprit de Stefánsson.
L’écriture (merci au traducteur) est tour à tour presque « philosophique », lyrique, humoristique. On sent toute une palette de styles, mais pour autant rien ne semble haché, c’est lié et fluide.
Une lecture exigeante mais une belle découverte !
Traduit de l’islandais par Éric Boury
Éditions : Globe (4 Janvier 2024)
ISBN : 978-2267050288
410 pages