Parfois le silence est une prière de Billy O'Callaghan (Life Sentences)
« D’autres mots encore, ils sont tous en moi parce que je les ai conservés ainsi qu’un oiseau affamé entrepose des miettes volées, et à certains moments, je les sors et me les répète, en en tirant le maximum, puisque c’est tout ce que j’ai. » *
Trois générations, trois retours sur l’histoire de l’Irlande et celle de la famille de l’auteur puisque ce récit est en partie inspiré des souvenirs de sa grand-mère et de ce qu’elle a appris des générations précédentes. Un texte remarquable, empli d’émotions, faisant la part belle à la résilience de ceux qui ont souffert de leur condition mais qui se sont battus pour s’en sortir. C’est beau, émouvant, enrichissant, captivant.
On commence avec Jer en 1920, puis on poursuit avec Nancy, sa mère en 1911 et on termine avec Nellie, la petite fille, en 1982, alors qu’elle est âgée et arrive en fin de vie. Chaque partie est écrite à la première personne, laissant la parole au personnage représenté. Chacun parle de sa vie, de son passé, des siens, de ses difficultés, oscillant entre hier et maintenant. Tous ont été confrontés à des situations difficiles. La mère a eu des enfants sans être mariée, le fils a subi la guerre et d’autres vicissitudes, Nellie se souvient d’un événement douloureux…. Mais tous trois sont restés debout, droits, faisant le maximum pour continuer à avancer en étant honnête et fidèle à eux-mêmes.
L’écriture de Billy O'Callaghan (merci à la traductrice) est lumineuse, pleine de sensibilité et de délicatesse. Lorsqu’il décrit, dans la première partie, la guerre et ses horreurs, il le fait avec « intelligence » (je ne trouve pas d’autres mots). Bien sûr, c’est dur, choquant (comme les scènes évoquées) mais le phrasé reste presque poétique et c’est tellement fluide qu’on peut tourner la page sans rester bloqué sur ce qui est horrible et ainsi poursuivre notre lecture. Son style sublime les mots, ils sont choisis (et je souligne le travail exceptionnel de Carine Chichereau) pour coller au plus près des ressentis, du quotidien partagé avec le lecteur. On est immédiatement dans l’histoire, au cœur de ce qui se joue.
En lisant ce roman, j’ai pensé au cinéaste Ken Loach qui montre la misère, les combats de ceux qu’on oublie, les conflits sociaux… Plusieurs fois j’ai ressenti que les protagonistes de cette famille auraient eu envie d’agir autrement mais qu’il fallait obéir à une règle : « on reste à sa place » et on ne se mêle pas de ce qui ne nous regarde pas (même si parfois….) parce qu’à l’extérieur, il ne faut pas faire parler de soi ou des siens. Les femmes sont fortes, s’accrochent pour sortir de la détresse dans laquelle elles sont que ce soit financièrement, moralement, physiquement… Elles ont de la volonté et du caractère, elles sont admirables. Loin d’un quotidien facile, elles captent chaque bribe de petit bonheur. Parfois c’est noir, rude, la vie ne fait pas de cadeau mais toujours elles se relèvent et continuent.
Trois destins ordinaires vécus par des personnes extraordinaires. Un livre magnifique !
*page 20
Traduit de l’anglais (Irlande) par Carine Chichereau
Éditions : Christian Bourgois (11 Mai 2023)
ISBN : 9782267050981
290 pages
Quatrième de couverture
Au milieu du XIXe siècle, à seize ans, Nancy quitte la petite île de Clear pour laisser derrière elle son enfance marquée par les famines et la mort. Elle trouve un emploi à Cork, dans le sud de l’Irlande, mais quand elle tombe enceinte après s’être laissé séduire par le jardinier, sa vie prend une tournure dramatique. Son destin, et celui de ses enfants et petits-enfants, sera marqué par la misère et la honte, mais aussi par le courage et la volonté de vivre dignement.