Les pères lointains de Marina Jarre (I padri lontani)
Née en 1925 à Riga. Romancière et dramaturge italienne d'origine juive lettone et de mère italienne, installée en Italie en 1935, Marina Jarre est diplômée de l'université de Turin en littérature chrétienne antique. Elle a enseigné pendant vingt-cinq ans. Elle est décédée en 2016. Ce livre est paru en 1987 en Italie.
Ce livre est un doux mélange de souvenirs, réflexions, ressentis, idées, pensées de l’auteur sur l’essentiel de sa vie. Elle commence avec son enfance en Lettonie, les relations avec son père (un juif letton) souvent absent, les liens avec sa mère et sa sœur (la préférée). Elle avait une dizaine d’années lorsque sa maman, qui avait décidé de se séparer de son époux, les a emmenées, sa frangine et elle pour vivre en Italie. C’est alors la grand-mère qui prendra le relais pour s’occuper des deux petites, Marina deviendra adolescente puis adulte. Après la seconde guerre mondiale, elle épouse Monsieur Jarre et s’installe avec lui.
On peut considérer que ces trois parties forment cette autobiographie mais ce n’est pas si tranché. Il y a en filigrane, des questions profondes sur le fait d’exister, d’être là ou ailleurs, comme si l’auteur cherchait, en permanence, son identité, ce qu’elle est au plus profond d’elle-même.
Est-ce que le fait d’avoir déménagé, de changer de langue et de culture lui a posé problème ? Avait-elle l’impression d’être de nulle part ? Elle s’interroge également sur le passage à l’âge adulte. « Était-ce un mûrissement artificiel ? » Est-ce que participer à certains événements est un gage de maturité comme un rite initiatique ? Elle est devenue femme en mettant au monde ses enfants. « En tant que femme, il m’a fallu naître de moi-même, je me suis mise au monde avec mes enfants. »
On peut se demander si tout ce qu’elle présente et décrit s’est réellement passé comme ça. Elle ne montre pas tout, ce sont des flashs qui s’articulent autour d’elle, sous différents angles. Son écriture est d’une précision chirurgicale. J’ai été étonnée qu’elle analyse si finement ce qu’elle a vécu enfant. En était-elle capable à l’époque ou est-ce que le recul a transformé ses émotions ?
Ce récit n’est pas toujours linéaire, il y a quelques retours en arrière, comme lorsque la mémoire va à son rythme et que tirer un fil en entraîne un autre.
Dans le dernier tiers, Marina Jarre nous montre la difficulté pour les femmes de trouver leur place après la guerre, que ce soit dans le couple ou dans la société. Alors comment « Être » tout simplement ? Elle le dit elle-même. « Seule l’écriture me détournait de la noirceur. » « Je me rappelle très bien l’instant où je me rends compte que les mots agencés d’une certaine façon -selon une nécessité absolue – étaient beaux. »
C’est un livre singulier, on sent que cette femme s’est sans cesse remise en question, le cerveau bouillonnant, analysant ce qu’elle vivait, essayant de comprendre où était sa place mais aussi celle de toute sa famille. À travers cette biographie, c’est la présentation d’une famille, complexe parfois, et de tout une époque, que nous offre l’auteur.
Une lecture enrichissante qui ne manque pas de nous renvoyer à notre propre histoire.
Traduit de l’italien par Nathalie Bauer
Éditions : Christian Bourgois (13 Avril 2023)
ISBN : 978-2267051414
280 pages
Quatrième de couverture
Marina Jarre eut du mal à se faire à l’idée qu’elle appartenait à une famille. La sienne lui paraissait lointaine, éclatée entre plusieurs langues, cultures, et appartenances religieuses. Dans ce grand récit autobiographique enfin traduit en français, elle évoque cette étrangeté dans une prose singulière et dépeint l’interrogation lancinante qui l’habitat toute sa vie, sur sa place de fille, de mère et d’autrice.