Rien ne nous séparera, de Thierry Cohen
Une chronique de Cassiopée
J’aime que les romans me bousculent, me bouleversent, me fassent découvrir des horizons inconnus, des faits méconnus, c’est le cas avec le dernier titre de Thierry Cohen.
C’est un récit, tiré de faits réels et solidement documenté, qui débute en 1964 et se termine en 2020. Une fresque humaine inspirée et inspirante, magnifique, émouvante et qui m’a laissée pantelante. Nous voyageons au Maroc, aux Etats-Unis et en Israël sur plusieurs années. Les chapitres sont assez courts, bien définis, si nécessaire l’époque et le pays sont cités. Comme il n’y a pas pléthore de personnages, on ne se perd pas, on sait vraiment où on en est sans aucun problème.
Salomon et Dina ont trois et un ans lorsque leur père (contre l’avis de sa femme) se résout à les confier « provisoirement » à une organisation de bienfaisance pour quelques mois. En effet, Jacob et Sarah, des juifs marocains, ne peuvent pas subvenir aux besoins de la famille. La terre est aride, rien ne pousse et l’argent ne rentre pas. Alors lorsque des hommes d’apparence bienveillante propose de l’aide, le paternel se dit que leurs petits mangeront à leur faim, qu’ils seront pris en charge et quand tout ira mieux, ils reviendront chez eux. C’est un déchirement pour la mère, une douleur infinie, elle a tout essayé pour empêcher ce départ mais elle n'a rien pu faire. Elle va devoir vivre et avancer avec cette béance en espérant des jours meilleurs….
Le couple va continuer sa route cahin-caha, avec des hauts et des bas, partageant une espèce d’omerta sur les faits que ni l’un ni l’autre n’oublient. Mais chacun reste muré, soit dans ses regrets, soit dans ses ressentiments. Parce que les petits, ils ne les ont jamais récupérés. Sont-ils morts ? Ont-ils été « vendus » à l’adoption ? Ensemble ou séparément ? Que sont-ils devenus ?
« Que comprend-on d’un roman dont les premières pages ont été arrachées ? » écrit l’auteur, ou comment se construire quand on ne sait rien de ses racines, de sa vie « d’avant » ? Avec une délicatesse infinie, une écriture fluide et prenante, Thierry Cohen explore les destins de plusieurs protagonistes. Chacun d’eux a dû exister avec des manques, plus ou moins comblés, trouvant un équilibre fragile mais correct. Et puis, un jour, quelque chose va tout remettre en question.
Est-ce bon de remuer le passé, de tenter de comprendre quitte à détruire tout ce qui a été érigé avec amour et patience ? Le silence n’est-il pas, parfois, préférable à des révélations peut être traumatisantes ? Des bébés volés sous l’ère Pinochet, en passant pas les petits réunionnais venus repeupler la Creuse, combien d’enfants ont été arrachés à leurs parents, à leur destin premier ? Combien ont su, compris, ce qui leur arrivait ?
Le recueil de Thierry Cohen, admirablement construit, parle de la difficulté de tous ces êtres (ceux qui sont partis de force, ceux qui sont restés, ceux qui ont accueilli, …) à être eux-mêmes… Quand une part de vérité vous échappe, que faire ? Chercher ou ne rien faire, de peur de souffrir encore plus ? Les quêtes que certains ont entamé se sont révélées douloureuses, étaient-ils capables d’entendre ce qu’on avait à leur dire ?
Ce récit est un coup de cœur, j’ai aimé l’écriture, le style, le contenu, la découverte, la sensibilité de l’auteur qui transpire car on ressent l’affection (tout à fait partagée par le lecteur) qu’il a eu pour certains de ces protagonistes.
Éditions : Plon (3 février 2022)
ISBN : 978-2259310314
434 pages
Quatrième de couverture
Maroc, 1964. Sarah et Jacob sont de pauvres paysans. Si pauvres que Jacob, contre l'avis de son épouse, accepte de confier provisoirement leur fille et leur fils à une institution de bienfaisance. Une décision qu'il regrettera toute sa vie. Douze ans après le drame, une rencontre réveille le père. Commence une longue quête, faite d'espoir et d'épreuves, qui le mènera peut-être à ceux que la vie lui a arrachés.