Une saison douce, de Milena Agus (Un tempo gentile)
Une chronique de Cassiopée
Les jeunes ont fui le village, il n’y a plus d’enfants, plus de bébés. Les maisons sont bricolées par la poignée d’habitants qui est restée ici. Même le Maire est parti dans une autre bourgade. Une ancienne et grande bâtisse, « La Ruine » est vide, elle a été offerte en don, mais personne ne s’en préoccupe. La vie est monotone, sans enthousiasme, sans dynamisme, sans vibrato. Même le train ne s’arrête plus, il passe en sifflant, vite, comme s’il ne voulait rien voir… de toute façon, il n’y a rien à voir…
Et puis, un jour, ils sont arrivés. Eux, les envahisseurs, car c’est ainsi qu’ils ont été nommés.
« Nous, on n’en veut pas chez nous. » ont pensé les villageois. Mais ils n’ont pas eu le choix, les migrants et les humanitaires qui les accompagnaient se sont installés à la Ruine. Des noirs, des blancs, des étrangers….c’est l’affolement, la peur. Ils ressemblent à ceux qu’on peut voir à la télévision mais tant que c’est derrière un écran…. Comment s’en débarrasser ?
Un chœur de femmes s’exprime dans ce roman. Ce sont elles qui les premières ont fait un pas vers les autres. Pourtant, elles le disent, elles le soulignent, elles se sont senties envahis. Le soupçon et la méfiance sont arrivés et les habitants du village se sont divisés. Que faire, que dire, comment agir face à cette invasion ? Les obliger à s’en aller, les accueillir ? Les réactions sont diverses et variées mais le « nous » tient bon, puis tient tête avant de se réinventer pour ouvrir les yeux, le cœur, les bras, donner et partager en pleine conscience.
Ce « nous » qui se penche sur les autres, accepte de les aider.
« Les voir porter nos affaires nous fit une drôle d’impression, parce qu’elles les rendaient un peu comme nous et nous, un peu comme eux. »
Ce n’est pas sans difficulté, les maris, les belles-mères n’aiment pas que les épouses s’émancipent, choisissent une autre attitude que la leur, d’autres conjointes ne sont pas d’accord avec ce soutien pour ceux qui n’ont rien à faire là. Finalement, pour ces mères qui ne voient plus beaucoup leurs enfants, les migrants « cette bouillabaisse de races et de religions, ressemblait bel et bien à une famille, aussi rafistolée fût-elle. » Ces femmes, qui, au départ, ont eu un sentiment de rejet envers les « Autres », se sont sentis plus vivantes en se rendant utiles pour eux.
Avec son écriture magnifique, fine comme une dentelle (merci à Marianne Faurobert), Milena Agus tisse l’histoire de ces personnes qui, sans point commun, sans envie de se voir ni d’être ensemble, ont su aller plus loin que le premier contact superficiel pour vivre une saison douce, en presque harmonie. Par l’intermédiaire du chœur de femmes, l’auteur exprime comment elles sont sorties de leur vie un peu étriquée pour ouvrir leur horizon, comment l’arrivée de ces migrants a bouleversé leur quotidien, leurs relations entre elles et dans leurs familles, comment elles se sont nourries de petits projets (les jardins partagés par exemple), de la vie tout simplement. Cette histoire émouvante est contée de manière délicate par un écrivain au sommet de son art qui sublime les mots pour nous offrir un texte superbe comme un poème.
Traduit de l’italien par Marianne Faurobert
Éditions : Liana Levi (4 Février 2021)
ISBN : 979-1034903696
176 pages
Quatrième de couverture
Il pleuvait à torrents et personne, vraiment personne, n'était prêt à ouvrir sa porte, et surtout pas à ces individus. Oui, il y avait des Blancs parmi eux ― les humanitaires qui les accompagnaient ― mais ils étaient tout aussi étranges que les autres malheureux, mal fagotés et mal en point. Que venaient-ils faire, ces envahisseurs, dans notre petit village où il n'y avait plus de maire, plus d'école, où les trains ne passaient plus et où même nos enfants ne voulaient plus venir ?