Sous la terre des Maoris, de Carl Nixon
Une chronique de Cassiopée.
Box a été longtemps à la tête d’une entreprise de maçonnerie florissante. Il vivait bien, ses deux enfants fréquentaient les meilleurs établissements scolaires de la région, sa maison était belle sans signe ostentatoire de richesse, bien située. Et puis la crise économique a pointé son nez et en quelques mois, tout s’est effondré. Il a fallu renoncer, faire son deuil d’une vie qui ne pouvait plus être la même. Le quotidien a changé du tout au tout. Box est maintenant un ouvrier lambda, sur des chantiers épuisants, loin des siens, obligé de travailler toujours plus pour rembourser ce qu’il doit. Ce qui le touche le plus, au-delà de l’humiliation d’être passé du statut de patron à celui de manœuvre, c’est d’avoir dû imposer ce nouveau mode de vie au reste de la famille. Certes, c’est un bosseur, mais faire des heures ne suffit pas et il a fallu faire des choix. Adieu la belle demeure, adieu les écoles privées, adieu un certain confort. Malgré tout cela, il reste droit et lutte, avec ses moyens, même si ses jeunes collègues sont nettement moins investis que lui et que cela le désole
Liz , son épouse courageuse, solide, l’appelle. Un malheur est arrivé, leur fils aîné, Mark, s’est suicidé. L’incompréhension est totale pour Box, et va faire ressurgir son passé : son frère disparu, les relations parfois délicates avec son père. Il a encore sa mère, une femme fragile, attachée à leur histoire et qui est une petite merveille d’amour. Lorsque l’auteur la décrit, on sent sa force et sa fragilité, on visualise chacune des rides, on croit entendre chaque craquement de ce corps usé, fatigué mais surtout, entre les lignes, on perçoit cet immense amour d’une terre, d’une famille qu’elle essaie de transmettre, d’expliquer à son fils. Box organise les funérailles et voilà que surgit le géniteur de Mark. Il est Maori et vient réclamer le corps qui, pour des raisons d’éthique d’après lui, doit être enterré près des siens. Les deux « pères » n’ont pas la même approche de cette mort et vont se disputer le corps du jeune homme. Bien au-delà de ce conflit, c’est celui des traditions ancestrales qui ressort et qui domine Avant tout, qui est le père pourrait-on s’interroger ? Celui qui a donné la vie ou celui qui élève l’enfant ? A chacun sa réponse mais Box considère que c’est lui qui a donné la main, soigné les bobos, accompagné, écouté, grondé, ….. Les deux hommes, si différents peuvent-ils dialoguer ? De plus, le premier compagnon de Liz n’a pas subi les assauts de la crise, il vit encore très bien, dans des conditions excellentes et c’est encore plus humiliant pour Box. Il est soutenu dans ses démarches par tout son « clan » maori et en face, Box et sa femme se sentent bien seuls et démunis.
Sur fond de conflits entre les différentes communautés de la Nouvelle Zélande, l’auteur nous offre surtout un portrait d’homme, de père. Chaque peuple a ses raisons, chacun pense être sur la bonne voie et le dialogue est difficile car tout cela est lié au passé. D’un côté, les traditions ancestrales avec ses rites à respecter à la lettre en cas de décès et en face la vie plus contemporaine…. Ce n’est pas la question de dire que l’un a tort et l’autre raison, c’est beaucoup plus profond que cela. Chacun des deux pères croit en ce qu’il dit et seule, peut-être, la forme de leur amour les différencie. En cela le combat de Box est un très long chemin qu’il choisit d’accomplir en solitaire, trouvant sans aucun doute, dans sa quête, une forme de rédemption par rapport à tout ce qu’il a vécu plus jeune.
J’ai trouvé ce roman magnifique tant sur le fond que sur la forme. L’écriture de l’auteur est empreinte d’une délicatesse de chaque instant. Il ne se pose jamais en donneur de leçons, il explique le raisonnement de chaque père, il présente les événements sans en rajouter. Mais je crois aussi pouvoir dire qu’il présente le contexte, certes d’une manière un peu rapide, avec doigté afin que le lecteur puisse surtout s’attacher aux protagonistes sans que le lieu prenne toute la place. Les conditions de vie, les mœurs sont là pour donner du sens à l’attitude des deux hommes mais ce livre n’est en aucun cas une description fin des conflits entre les peuples. C’est un auteur que je suivrai de très près tant son texte, son style m’ont interpellée.
Sous la terre des Maoris
Auteur : Carl Nixon
Traduit de l’anglais (Nouvelle-Zélande) par Benoîte Dauvergne
Editions de l’Aube (Février 2017)
Collection : L’Aube Noire
ISBN : 9782815914598
336 pages
Quatrième de couverture
Mark Saxton s’est suicidé. Il s’appelait aussi Maaka Pitama. Son père biologique, un Maori du nom de Tipene, vient voler sa dépouille afin de lui offrir des funérailles dans le respect de la tradition maorie. Sauf que c’est Box Saxton qui a élevé Mark, et il entend bien que son fils soit enterré sur les terres de sa propre famille.