POLICE, de Hugo Boris
Une chronique d’Éric
Il est difficile, dans le cadre particulier du roman, de limiter ou de se limiter dans le temps et dans l’espace. Hugo Boris s’impose cette règle pour mieux jouer sur la tension entre les personnages pris un par un, puis dans les frictions de ces personnages les uns par rapport aux autres, pour y entraîner progressivement le lecteur à pas comptés jusqu’au moment extrême où le malaise enveloppe tous les protagonistes et annihile toute résistance.
Ce soir-là, Virginie, Aristide et Erick, trois policiers d’une brigade parisienne sont chargés d’aller chercher dans un centre de rétention incendié, un réfugié politique tadjik et de le reconduire à l’aéroport afin qu’il puisse être ramené dans son pays où une mort certaine l’attend. Les ressorts de la tragédie sont bien en place comme dans un film et le déplacement de la voiture de police du centre de rétention à l’aéroport va servir à la scansion de la narration : « L’ombré noir de la route cède à un revêtement ocre, plus luxueux... la redoute de Gravelle, l’Hippodrome, Nogent-sur-Marne, Gabriel Péri, Saint Quentin. etc.. ».
Le rythme hypnotique de la voiture, le huis clos poisseux, les noms des lieux nous bercent peu à peu comme dans nos anciennes rêveries d’enfant filtrées par les vitres puis un mot, une réflexion ou une boutade éveillent à nouveau notre pensée et l’agitation revient avec l’inconfort d’une vie suspendue aux désirs des hommes. À l’intérieur de l’habitacle, le drame se joue aussi : demain, Virginie va se faire avorter d’un enfant qu’elle a eu avec Aristide, instant de méprise, de mal-être, désir de plaire au bellâtre de la brigade, celui qui assure par le flux des paroles et le tempo des bons mots des discussions au sein de ce petit milieu policier. Les trois personnages sont placés au carrefour de leur existence avec ses pesanteurs, ses désirs jamais réalisés, ses rancœurs et ses frustrations tissées au fil des jours et surtout la conscience accrue de ses propres insuffisances face à une violence incontrôlable, sans limites ou dont les limites sont sans cesse repoussées. Pour chacun la question morale vient mettre en relief ce désarroi devant la vie, comme si ce voyage était aussi une introspection, un instant en suspens pour mieux mettre l’accent sur ce qui un jour les a poussés à faire le choix d’une telle fonction au-delà des stéréotypes véhiculés par le cinéma et la télévision. Mais tous se renvoient la balle pour mieux éluder leurs doutes. Erick le chef de groupe, altier et en apparence respectueux de la hiérarchie, ne supporte plus ce que son métier a fait de lui : un être en permanence sur ses gardes et aux abois obligé « de s’asseoir au fond de la rame (de métro) pour n’avoir aucun passager dans le dos et pouvoir tenir tout le compartiment dans son champ de vision. Sa vigilance est devenue si machinale qu’il ne peut s’empêcher de vérifier s’il n’est pas suivi, le soir en rentrant chez lui » (page105). Il n’arrive plus à se défaire de ses oripeaux de gardien de l’ordre au prix même de son équilibre de vie.
Tous ici sont maintenant confrontés à la question morale qui tôt ou tard se pose dans ce rôle sécuritaire : ils tentent dans un premier temps d’éluder le problème façon Ponce Pilate (« de toute manière si nous ne faisons pas le sale boulot c’est d’autres qui le devront s’en charger ») ou s’en remettent à leur fonction (« nous sommes là pour cela et c’est notre devoir ») enfin se rebellent contre l’ordre donné (après avoir enlevés les menottes du prisonnier, ils s’éloignent de la voiture pour voir comment ce dernier va réagir).
Au bout de ce voyage dans la nuit des hommes, « La responsabilité est dispersée entre la Préfecture, les gardiens, les escorteurs, la Police aux frontières, les pilotes, les hôtesses, les stewards, pour que chacun ait le confort de penser : ce n’est pas moi, c’est l’autre. »
Hugo Boris, dans ce roman haletant, impose un constat : que faire dans un monde bloqué ?
Éric Furter
POLICE
Hugo Boris
Éditions Grasset, 2016