D’après une histoire vraie, de Delphine de Vigan
Une chronique d’Éric
Au moment où le livre commence, la romancière est en panne d’écriture, hantée par l’angoisse de la page blanche et la crainte de devoir se remettre à écrire. L. arrive à point nommé et « à pas de velours » comme une âme bienveillante en apparence au moment le plus difficile de la vie. Un peu plus tard, Delphine expliquera : « L. s’est installée dans ma vie, avec mon consentement, par une sorte d’envoûtement progressif ».
Dès lors, on est embarqué dans cette longue progression d’un « envahissement » par une personnalité trouble, énigmatique et menaçante. L. est toujours là pour mettre en doute et rassurer l’auteur sur l’écriture, la troubler ou l’encourager à poursuivre sur le sentier de la réalité et de la vérité dans son œuvre littéraire. Car il lui faut poursuivre selon L. dans la voie qu’elle a tracée déjà avec Rien ne s’oppose à la nuit sur le sentier de la confession, de la vérité de sa vie de la confession permanente sur la réalité toujours à explorer de la famille et des drames qui semblent la constituer. « Tu n’as pas besoin d’intrigue, de rebondissements, tu es au-dessus de tout cela » lui dit L. avec une sombre perversité.
Mais comment décrire la vérité en littérature et que recouvre le principe de réalité que tous les lecteurs semblent rechercher ? En littérature, ce qui est vrai se vend de plus en plus, le lectorat est en attente du vrai dans le roman, et le label de la vérité et du réel semble un gage de vente comme une nécessité pour le bon commerce entre les êtres. Ainsi, si représentatif de ce que demande la vox populi à un écrivain, cet éditeur parisien bien intentionné somme l’auteur de s’interroger sur l’effet de réel défini par Roland Barthes : un texte doit s’attacher à décrire le monde réel et à affirmer l’étroite relation entre le texte et la réalité. « Je n’avais rien contre les effets de réel, j’adorais les effets de réel... Il voulait que j’inscrive le texte dans le Vrai. Il voulait que je dise au lecteur attention Madame, Monsieur, tout ce que je vous raconte est authentique, voilà un livre qui sent le Vécu, un livre cent pour cent autobiographique, voila de la Vraie Vérité, voilà la vie à l’état brut, garantie sans additifs, du réel qui n'a subi aucune transformation, surtout pas celle de la littérature »( page 143)
Par la suite le doute s’insinue sur la personnalité véritable de L. Au commencement sont des phrases que L. prononce alors que Delphine est persuadée de les avoir dites auparavant, puis c’est un rythme de visites que L. instaure progressivement avec l’habileté d’une chasseuse qui rend sa proie captive jusqu’à finalement se rendre indispensable. Elle apparaît toujours pour voler au secours de son amie ou la faire rire, avec « cette façon impérieuse et exclusive d’être en lien avec l’autre, que l’on peut avoir à 17 ans », écrit l’auteur, sauf qu’elles n’ont plus 17 ans, mais plus de 40.
On ne quitte plus dès lors ce roman troublant qui brouille de manière très maligne les frontières entre fiction et réalité. « La fiction, l’autofiction, l’autobiographie, pour moi, ce n’est jamais un parti pris, une revendication, ni même une intention. C’est éventuellement un résultat » (Page 125) écrit Delphine, la narratrice qui se confond si bien avec l’auteur. Plus loin L. lui rétorquera vivement « qu’elle n’a pas besoin d’inventer quoi que ce soit... L’intrigue est un piège, un traquenard, tu crois qu’elle t’offre un abri, ou un pilier, mais c’est faux tes lecteurs n’attendent pas qu’on leur raconte des histoires pour qu’ils s’endorment en paix ou pour les consoler. Ils se moquent des personnages interchangeables, transposables d’un livre à l’autre, ils se moquent des situations plus ou moins plausibles tricotées avec agilité mais qu’ils ont lues vingt -cinq fois. Tu leur as prouvé que tu savais faire autre chose, que tu pouvais t’emparer du réel en découdre avec lui, ils ont compris que tu cherchais une autre vérité et que tu n’avais plus peur » (pages 128-129).
Peu à peu, l’emprise va s’accroitre, dévorante, asphyxiante, paralysante. L’auteur a envie ici de créer un univers de fiction plus vrai que dans son précédent roman. Car l’emprise, c’est aussi cette mainmise du lectorat sur cet ouvrage qu’elle a besoin de tenir à distance pour mieux progresser dans ce nouveau livre, ne plus se soumettre au diktat du vrai, du réel, et de ce qui à pu exister pour évoluer vers la fiction pure plus vraie peut-être que ce nous nommons notre réalité. Celle-ci est tissée d’histoires plus ou moins confuses qui constituent pourtant une sorte de vérité dont nous sommes de gré ou de force les hérauts ou les marionnettes.la fiction seule peut résoudre l’énigme de l’être, qui est toujours le produit d’un fantasme subjectif produit de l’inconscient et de l’imaginaire de ceux qui se disent être ses plus proches.
Entre Stephen King et Jorge Luis Borges, Delphine de Vigan place son lecteur dans l’étendue floue des interactions entre réel et fiction. Une belle réussite littéraire.
Coup de cœur de cette rentrée 2015, Delphine de Vigan continue à nous surprendre avec une écriture faussement simple au service d’un roman d’une construction remarquable et implacable. Le lecteur est d’emblée pris par une histoire assez sidérante de manipulation. C’est habile, malin, haletant, étonnant de bout en bout ! Et si tout ça n’était qu’un prétexte pour nous parler de la puissance de l’écriture ?
Eric Furter
D’après une histoire vraie
Delphine de Vigan
Editions J-C Lattès (
Prix Renaudot et Goncourt des lycéens 2015 -