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Publié par collectif-litterature

D’après une histoire vraie, de Delphine de Vigan (chronique 2)

Une chronique de Jacques.

Delphine de Vigan : illusion du réel et réalité de l’illusion

« Tu n’as pas besoin d’inventer quoi que ce soit. Ta vie, ta personne, ton regard sur le monde doivent être ton seul matériau. L’intrigue est un piège, un traquenard, tu crois sans doute qu’elle t’offre un abri, ou un pilier, mais c’est faux (...) [elle] est un vulgaire trompe-l’œil, elle n’offre aucun tremplin, aucun appui ».

Cette déclaration de la mystérieuse L. à la narratrice définit un des enjeux de ce livre, qui se situe constamment sur la ligne de crête entre un roman classique avec son histoire, son intrigue, ses personnages imaginaires ou partiellement imaginés, et une réflexion sur la littérature contemporaine avec ses tentations vers une autofiction qui nous dirait « tout ce que je vous raconte est authentique, voilà un livre qui sent le Vécu, un livre cent pour cent autobiographique, voila de la Vraie Vérité, voilà la vie à l’état brut, garantie sans additifs, du réel qui n’a subi aucune transformation, surtout pas celle de la littérature ».

L’intrigue est aussi forte que simple à énoncer : une écrivaine va être progressivement vampirisée par une lectrice. Celle-ci sait tout d’elle, de sa vie comme de ses écrits, et elle va devenir une amie indispensable, si indispensable que l’auteur, ne pouvant plus se passer de sa présence, va sombrer peu à peu dans une profonde dépression et se retrouver dans l’incapacité totale d’écrire ou simplement de s’approcher du clavier de son ordinateur, jusqu’au dénouement... qui ne sera pas raconté ici !

Avec la virtuosité qui est celle de Delphine de Vigan, si le livre devait se limiter à cette seule intrigue il serait déjà passionnant. Mais il est aussi bien autre chose !

Tout se passe en effet comme si l’auteur voulait répondre à un défi : est-il encore possible aujourd’hui d’écrire un roman comportant une intrigue, une histoire, des personnages imaginaires ou partiellement illusoires, tout en nous laissant croire que l’auteur met ses tripes sur la table, nous révèle sa vérité intime, son monde personnel dans lequel tout ce qu’elle écrit ne peut être que vrai puisque tout semble crédible, que tout sonne juste ? Elle mêle à ce défi d’autres questions : illusion ou réalité... l’écriture peut-elle mêler les deux en toute impunité ? Est-il toujours possible de démêler le vrai du faux et au fond, est-ce si important ?

À cette dernière question, l’auteur répond clairement : non, et elle le fait de la façon la plus subtile qui soit puisque L. se révèle être, au bout du compte, un personnage imaginaire dans lequel nous, lecteur, avons cru à la réalité pendant une bonne partie du roman. De ce point de vue, l’effet de réel a parfaitement fonctionné !

Quelle est la distance entre Delphine de Vigan et la narratrice Delphine, qui lui ressemble tant ? Peu importe au fond, ce n’est pas là que se situe l’enjeu du roman. Quelle est la distance entre la narratrice et L., dont la réalité qui semble pourtant si forte au début du livre va se dissoudre au fil des pages ? Là aussi, la question ne se pose pas : si Delphine et L. nous semblent vraies alors même que nous savons qu’elles sont pour une large part – mais pas totalement – une illusion, c’est que l’écriture romanesque est bien toujours possible. Même si, selon L., l’intrigue « (...) est un piège, un traquenard (...) un vulgaire trompe-l’œil [qui] n’offre aucun tremplin, aucun appui à l’écrivain », lorsqu’elle est maniée avec une habileté aussi diabolique, elle se révèle capable d’offrir aux lecteurs un livre formidablement intéressant, stimulant et novateur.

 L. oscille constamment entre personnage imaginaire et personnage réel double de l’auteur, puisque Delphine, la narratrice-écrivaine en panne d’inspiration, l’a créé en puisant dans différents livres de sa bibliothèque des évènements censés être les plus marquants de sa vie. Il y a donc la même distance entre Delphine de Vigan et la narratrice-écrivain Delphine qu’entre cette dernière et le personnage de L., dont le lecteur peut légitimement s’imaginer au tout début du livre qu’il est pour une bonne part inspiré d’un personnage réel, alors qu’il est une savante construction de l’auteur : « Je n’avais rien contre les effets de réel, j’adorais les effets de réel... Il voulait que j’inscrive le texte dans le Vrai. Il voulait que je dise au lecteur attention Madame, Monsieur, tout ce que je vous raconte est authentique, voilà un livre qui sent le Vécu, un livre cent pour cent autobiographique, voila de la Vraie Vérité, voilà la vie à l’état brut, du réel qui n’a subi aucune transformation, surtout pas celle de la littérature »

La force du livre tient au glissement progressif de la représentation de ce personnage : il semble totalement authentique au début du livre, comme si Delphine de Vigan nous racontait une histoire qui lui était réellement arrivée, puis il devient peu à peu personnage de roman, construit, fabriqué par l’auteur à partir de matériaux disparates liés à son expérience vécue et à ses lectures.

Nombreux sont les lecteurs, nous dit la narratrice, qui sont avides de connaître les vérités personnelles les plus intimes, les failles les plus profondes et côtés les plus obscurs de leur auteur préféré, persuadés qu’ils sont que l’apparence de sincérité est un gage de vérité, et que cette vérité là n’a que faire des intrigues romanesques et des personnages imaginés. Ils se trompent, bien sûr, et ce roman nous le démontre de bien belle façon.

Avec ce roman magnifique, intelligent, stimulant, passionnant à lire, Delphine de Vigan se révèle ici comme l’un des meilleurs écrivains français contemporains. Du grand art !

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