Cinq photos de ma femme, d’Agnès Desarthe
Pour celles et ceux qui aiment les vieux messieurs.
Le vieil homme et le peintre.
On ne connaissait pas encore Agnès Desarthe et ce premier album qui ne contient pourtant que Cinq photos de ma femme, s'avère très prometteur.
Max a dépassé les 80 balais et s'ennuie un peu depuis qu'il s'est retrouvé veuf, ses deux enfants perdus à l'autre bout du monde.
« [...] Max s'était longtemps appelé Mathusalem. C'était le nom que lui avait donné sa mère. Au début, les gens s'étaient moqués, lui disant qu'il était mignon mais un peu ridé. Elle riait avec eux et leur répondait : "Il nous enterrera tous !"
Elle fut la première à vérifier sa prédiction. Une semaine avant les trois ans de Mathusalem, elle mourut d’un empoisonnement du sang. »
Obsédé par le souvenir de son épouse, le voici à deux doigts de dialoguer avec son fantôme.
« [...] Debout dans sa cuisine, Max saupoudrait sa tranche de colin d’échalotes émincées. « Une pincée de sel, une pincée de poivre, et hop ! On referme la papillote. » Il se rendait compte qu’il parlait tout seul, mais il avait décidé de s’accorder ce droit dans deux circonstances : préparation des repas et bricolage. À chaque fois qu’il devait planter un clou, il s’autorisait un bilan de la situation : « Il va falloir que je trouve une solution. Si je plante trop haut, je serai gêné par le placard ; si je plante trop bas, ça traînera dans l’évier. »
Il ne s’agissait pas de tromper la solitude – Max n’avait jamais souffert de ce mal – mais plutôt de commenter l’action pour lui donner plus de poids, s’assurer qu’on n’oubliait rien. »
Max prend le diable à bras par les cornes et, armé de quelques photos de sa défunte (cinq pour ceux qui ont suivi), se met en tête de faire peindre son portrait (décidément, c'est l'année Littérature et Peinture [1] [2]).
Notre ami Max (les présentations faites par Agnès Desarthe auront vite fait de nous transformer en ami de Max), notre ami Max se met donc en quête du peintre qui saura lui restituer le je ne sais quoi du regard de son épouse (un je ne sais quoi que l'on ne voit même pas sur les photos - vous voyez ?).
« [...] Il se réjouissait à l’idée de la fixer enfin, de caler son joli visage triangulaire dans un cadre doré et de passer des heures, en son immobile compagnie, à discuter en silence. »
En homme consciencieux, Max consultera même plusieurs artistes.
Voilà on vous a tout dit. C'est à dire rien.
Car ce roman d'Agnès Desarthe, ce petit bijou, ne peut guère se résumer.
Il faut, au rythme du vieux Max, se laisser porter par la prose, la presque poésie, de l'auteure : tout cela pétille d'intelligence et de fraîcheur (on dirait du champagne), d'humour et d'auto-dérision.
L'esprit rappelle un peu celui d'Echenoz même si le style est bien différent.
Les chapitres voient défiler les trois ou quatre peintres que Max va consulter, ses cinq photos en poche. Autant d'occasions pour des rencontres insolites, de savoureux dialogues et de pertinentes digressions.
Ce n'est pas une galerie de portraits, mais une galerie de peintres.
On se doute bien que l'on n'obtiendra guère plus que quelques images et quelques souvenirs de l'épouse défunte : on sait bien que ce n'est pas la destination ou le portrait qui importent mais le voyage et les rencontres faites en chemin. Finalement on en apprendra beaucoup plus sur Max que sur sa femme, un Max qui tel Dorian Gray, semble rajeunir au fil des chapitres et de sa quête du portrait idéal.
Les différentes rencontres sont un peu inégales (celle du couple d'étudiants par exemple) mais les derniers chapitres avec la vieille dame (Nina) sont un véritable feu d'artifice : on jubile à la lecture des dialogues entre ces deux vieux philosophes.
« [...] Du temps de sa jeunesse à lui, les filles n’arrêtaient pas de tomber enceintes, on hésitait presque à les embrasser. Chaque femme était un ventre, fertile malgré elle. La vie était un accident. C’était embêtant, mais au moins, on avait une chance d’être surpris, dépassé par les événements. Le contrôle des naissances, ce n’était pas rien. Quelle femme, quel homme, en toute conscience, pouvait affirmer vouloir un enfant ? Pour quoi faire ? Le monde est-il si beau ? Pour l’élever comment ? Quel fou aurait l’idée de s’improviser jardinier ? Il faut du savoir-faire, en cela comme en toute chose. Qui peut se considérer digne et capable de cultiver ces fleurs tellement plus vulnérables et dangereuses que les autres ? Max avait soudain l’impression qu’on avait retiré le joker du jeu de cartes. À quoi bon poursuivre si le hasard était exclu de la partie ? Voilà que je me mets à penser, s’étonna le vieil homme. Il s’en voulut aussitôt. »
Bruno ( BRM) : les coups de Coeur de MAM et BMR