Le roi n’a pas sommeil, de Cécile Coulon
Pour celles et ceux qui aiment l'Amérique vu depuis Clermont-Ferrand.
Direct Clermont-Midwest.
Ouh là ! Mais d'où qu'elle sort la jeune Cécile Coulon (24 ans et déjà plus de cinq bouquins à son actif) ?
De Clermont-Ferrand. Etudiante en lettres, passionnée de littérature, américaine notamment : Steinbeck est cité en exergue.
Une fois plongé dans son Roi qui n'a pas sommeil, le lecteur revisite régulièrement la couverture : Cécile Coulon, nom et prénom français de chez franchouille, mais comment peut-elle donc écrire comme ça ?
De la première à la dernière page, on est en plein cœur des Amériques et de ses campagnes perdues, pure littérature US, et sans fausse note.
Pour le lecteur c'est le même étonnement renouvelé qu'à la lecture de l'anglais R. J. Ellory par exemple.
Mais à la différence du bavard R. J. Ellory, notre jeune petite française (22 ans à l'époque du bouquin !) fait plutôt dans l'économie, la fulgurance. 150 petites pages qui vont droit aux faits et au cœur.
L'histoire d'un destin en marche, la chronique d'un drame annoncé.
« [...] Jusqu’à la mort de Mary, Puppa resta avachi sur son siège, un mégot entre les dents, sans décocher un mot. Ce fut seulement après l’enterrement de la mère, un jeudi après-midi, que les vieux commencèrent à faire sauter les serrures. Puppa fut le premier à parler de Thomas.
[...] Les rumeurs circulaient : il bossait dur, même sous une pluie battante, sa mère se tapait le médecin – la belle affaire – il était coriace en affaires, violent avec les femmes.
[...] C’est vrai qu’il était grand et fort, mais son visage ne rassurait personne. Le patron lui trouvait des airs de faux jeton, de ceux qui planquent des secrets au plus profond d’eux-mêmes, si bien qu’ils finissent par remonter tout seuls à la surface.
[...] Les vieilles du quartier disaient que l’âme de son père flottait au-dessus de lui.
[...] Cette nuit, Thomas était devenu un monstre, une carcasse burinée, taillée à la hache, un homme qui aurait eu un gésier à la place du cœur. »
Retour arrière sur l'histoire de Thomas dans cette petite ville de Heaven qui de paradis, n'a que le nom. Le père William, comme tous les hommes du coin, travaillait à la scierie. Il y laissera la vie, beaucoup trop tôt pour son jeune fils Thomas et sa douce et belle femme Mary.
Dès les premières pages on nous annonce que tout cela finira mal ... mais sans nous dire exactement comment cela va mal finir. On dévore donc cette grosse centaine de pages comme un thriller, curieux et angoissé de connaître le fin mot du drame, étrangement fasciné par l'enchaînement ordinaire mais inéluctable qui conduit Thomas vers son destin.
Au passage, on déguste à grandes lampées la prose très maîtrisée de l'auteure (22 ans à l'époque du bouquin !), on se laisse emporter par de belles évocations puissantes, on apprécie les saveurs non frelatées de l'Americana, on découvre de superbes portraits : Thomas et Mary bien sûr, mais aussi le docteur O'Brien, sa jeune assistante Donna et d'autres encore. Pour mieux nous emporter vers Heaven, Cécile Coulon (22 ans à l'époque du bouquin !) ne néglige ni les personnages secondaires, ni la vie du village, ni les décors.
La prose de Cécile Coulon attrape et ne lâche plus. On reste bouche bée, non pas devant le destin de Thomas, mais devant le talent de Cécile. Je ne sais plus qui (bon, en fait si, hein !) qui a dit que la valeur n'attend pas le nombre des années, ni le nombre de pages : en voici une nouvelle preuve éclatante et fulgurante.
On pense un peu à Ron Rash et pas seulement pour des histoires de paradis perdu.
Ce roman a été couronné du prix Mauvais Genre en 2012 (année de sa sortie, elle n'avait que 22 ans !).
Un petit bouquin, pas cher et disponible en ebook mais qui a tout d'un grand roman : ne vous en privez surtout pas.
Nul doute : on va bientôt se précipiter sur Méfiez-vous des enfants sages, son premier succès paru en 2010 (20 ans à l'époque !).
On va donc réserver notre coup de cœur pour une prochaine lecture : on est à peu près sûr d'y gagner et puis reconnaissons que, en dépit de tout le bien qu'on a écrit plus haut, l'histoire de la famille Hogan est un peu trop convenue pour mériter une palme d'or. Il manque juste un petit supplément d'âme, un soupçon d'étrangeté, une petite note plus personnelle.
Mais c'est quand on est repu et rassasié, qu'on se permet de faire la fine bouche.
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