Vongozero, de Yana Vagner
Une chronique de Jacques.
Vongozero, un road movie littéraire russe...
Un groupe de huit personnes, femmes, hommes et enfants, placé dans une situation de crise qui met leur vie en jeu. Dans le même temps, hors du groupe, les structures sociales se délitent, il n’y a plus d’autorité politique, chacun se méfie de son voisin, l’individualisme devient la règle ordinaire et les solidarités élémentaires deviennent des exceptions.
Même s’il y a au début de l’histoire des liens familiaux, d’amour ou d’amitié qui peuvent lier ceux qui vont vivre cette aventure hors du commun, le désir qu’a chacun de survivre ainsi que la force collective que leur donne le groupe vont devenir un élément essentiel de leur relation, plus forts que les antagonismes parfois épidermiques vécus par chacun.
Quel évènement extérieur Yana Vagner a-t-elle imaginé pour créer cette situation ?
Un simple virus, formidablement contagieux et contre lequel les autorités sont impuissantes, qui suffit à dissoudre les États et notre civilisation hautement technologiques. Un thème déjà lu, déjà vu, et même rebattu, puisqu’on ne compte plus les auteurs et les cinéastes qui l’ont traité, Stephen King étant avec son roman le Fléau le plus célèbre d’entre eux. Mais un thème que l’auteur, une russe dont c’est le premier roman, parvient à traiter de façon originale.
Au tout début de l’histoire, l’épidémie s’est déjà déclenchée, mais chacun vit sa vie sans trop s’en préoccuper, persuadé que les autorités parviendront, en prenant les mesures qui s’imposent, à la contrôler. Anna, la narratrice, vit dans la banlieue de Moscou son fils Micha et son compagnon Sergueï. Une famille ordinaire de la classe moyenne russe, à laquelle va s’agglomérer bientôt Boris, le père de Sergueï, un couple de voisins et leur fille, ainsi que l’ex-femme de Sergueï et son fils Antochka.
Quand Moscou est fermée, que plus personne ne peut plus y entrer ou en sortir, ce groupe va prendre la décision de partir à Vongozero, sur une île d’un lac situé en Carélie tout près de la frontière finlandaise. Un lieu que Sergueï connait pour ya avoir chassé avec son père quelques années plus tôt, qui est si isolé que les risques de contagion y seront faibles. Anna nous raconte donc le périple du groupe, depuis Moscou jusqu’à Vongozero. Elle apparait comme plutôt renfermée, très centrée sur Sergueï et son fils et dans une moindre mesure sur Boris, juge les autres membres du groupe avec méfiance ou hostilité.
Cette narratrice unique nous dispense de ce qui serait ici accessoire : de longues descriptions de l’agonie de la société. Le groupe, au fur et à mesure de son avancée, en fait lui-même l’expérience, que ce soit pour la recherche d’essence pour leurs véhicules, qui devient de plus en plus compliquée, les villages traversés qui se ferment aux étrangers, ou qui pour certains ne sont plus que des cimetières, des groupes armés à la recherche de véhicules ou de nourriture...
Plus ils avancent vers leur objectif, plus les problèmes deviennent sérieux et plus les tensions et les craintes sont palpables. Les membres du groupe se considèrent comme des gens bien, civilisés, normaux. Pourront-ils le rester quand les dangers vont se préciser ? Et ceux qu’ils croisent, qui leur semblent parfois menaçants, ne se considèrent-ils pas eux aussi comme des gens bien ? Leur rencontre avec un médecin, qui va se rajouter au groupe, ajoute une autre dimension à ce questionnement en évitant tout manichéisme. Le médecin est resté ce qu’il était avant l’épidémie : un être serviable, généreux, pensant aux autres avant de penser à lui. Dans ces situations extrêmes, ses qualités semblent déplacées, dangereuses, et son comportement parait parfois être proche de la folie.
Au fil des chapitres, Yana Vagner réussit à susciter une sensation d’emboîtement, une sorte de jeu à trois : Anna est au centre, puis le groupe qui la protège, et enfin tout autour un extérieur mystérieux et multiple, à la fois menaçant mais aussi, peut-être, salvateur. Quand les obstacles s’accumulent, quand les choses se compliquent, les perceptions d’Anna se modifient en même temps qu’elle change elle aussi. En approchant de Vongozero, qui finit par apparaitre au lecteur comme un lieu mythique, les choses se compliquent et la tension narrative augmente d’autant plus que le lecteur ne sait, pas plus que les personnages, ce qu’ils vont découvrir à Vongozero... si toutefois ils y parviennent !
Yana Vagner a réussi là un magistral premier roman. Une écriture puissante, des personnages ordinaires placés dans des situations qui bousculent tous leurs codes habituels, une belle subtilité dans la description des situations, un suspense qui ne faiblit pas... Vongozero est un livre que l’on n’oublie pas une fois refermé, et qui appelle une suite !
Vongozero
Yana Vagner
Éditions Mirobole (18 septembre 2014)
Collection Horizons pourpres
448 pages